Il suffit de repeindre. Il suffit de reprendre. A l’intérieur, à l’extérieur. Les bâtiments ont fière allure. Les escaliers de béton menant aux étages eux aussi ont été repeints. Un luxe, car ils sont peu empruntés : les ascenseurs fonctionnent. Dans l’un des immeubles longeant la rue de l’autre côté, c’est le même traitement : entretien, embellissement. Tout ayant donc été rafraichi, il y a longtemps qu’on ne voit plus les gouttes de sang sur les marches de béton menant au dernier étage et à l’espace avec trappe au-dessus des derniers appartements, là où a été décroché le corps de l’adolescent. Entrefilet dans le journal local. Il fumait un peu trop, il faisait un peu trop son malin face aux représentants de l’ordre qui le poursuivaient, lui et les autres, sur les petites collines tout ça peut créer un état dépressif et il a mis fin à ses jours, ils disaient. Dans le journal, pas grand-chose de plus. Ils ne disaient pas le désarroi de toutes les familles enracinées depuis longtemps dans le quartier : elles connaissaient bien l’adolescent et n’ont pas cru à l’autodestruction qui ne lui ressemblait pas mais elles n’ont pas osé parler. Ils ne disaient pas la surprise d’un soignant présent pour la levée du corps, et qui a constaté la tuméfaction du visage. Ils ne disaient pas qu’il fallait absolument analyser les traces de sang sur les marches qui n’avaient pas tout absorbé. Ils ne disaient pas les premières démarches auprès du patron du café connu pour ses blagues racistes et qui avait conseillé à la jeune femme venue lui poser certaines questions de ne pas aller plus loin. Ils ne disaient pas la décision des parents de refuser l’autopsie parce qu’il fallait que le corps repose au plus vite dans la terre ancestrale. Depuis, les arbres ont poussé sur les petites collines, et l’environnement est agréable. La famille a déménagé. Une autre l’a remplacée dans le bâtiment réhabilité. L’arrêt de bus près de la cité est parfois un lieu de rendez-vous bruyant et certaines silhouettes rassemblées font penser au disparu. Les anciens vergers à l’abandon où avait lieu la chasse aux fruits sont remplacés par une grosse entreprise de travaux publics. Un jeune a créé un blog retraçant l’histoire du quartier mais l’adolescent n’y est reconnaissable sur aucune photo. C’était il y a quarante ans. C’était hier. Les élèves prennent toujours le même raccourci pour aller au collège. Dans l’intervalle, la rue du Cimetière est devenue rue de l’Egalité.