Elle est strictement la même qu’hier. La soirée était fraîche et elle avait déplié le foulard coloré qui retenait ses cheveux pour en recouvrir ses épaules. Les boucles épaisses roulaient autour de son visage en vagues dorées à chaque fois qu’elle riait. J’ai eu envie de l’embrasser. Puis lorsqu’elle s’est aperçu de l’heure, elle s’est levée en hâte, et elle est partie. J’ai cru entendre dans un vague murmure: « mon père doit être rentré ». Je l’ai suivi du regard avant qu’elle se fonde dans le noir. Ce matin elle est strictement la même. Je la suis du regard appuyé sur la grille d’entrée du lycée. Elle me salue en riant. Elle a choisit cette fois ci d’attacher le foulard en pointe autour de son cou ce qui lui donne une allure folle. J’ai envie de l’embrasser. Sous le tissu aux couleurs fraiches de coquelicot de lavande et de bleuet de longues traces bleues rouges et violettes. L’empreinte des doigts de son père.
Elle arrive au travail avec quinze minutes d’avance comme toujours, elle gare son vélo devant le gratte ciel à la façade vitrée comme toujours , réajuste sa veste, présente son badge au vigile de l’entrée. Comme toujours, se place bien au milieu de l’ascenseur, appuie sur le bouton du 20ème étage. Elle fredonne toujours le même air en allant déposer son repas dans le frigo. Elle préfère ramener les restes de son repas de la veille plutôt que d’aller manger à la cafétéria. Aujourd’hui elle ne pourra rien avaler. L’oncologue lui a annoncé hier qu’elle avait un cancer du poumon.
Je le croise tous les matins en allant travailler. Devant la Halle aux Tissus. Toujours immobile. Il garde la tête basse, assis à même le trottoir. Sur ses épaules, l’imperméable troué que je lui ai toujours vu et le bonnet de laine qu’il porte depuis le début de l’hiver. Sur la laine rouge, les flocons viennent se poser lentement avant de disparaître. On ne voit pas son visage. Sa peau est burinée, recouverte d’une couche épaisse de crasse. Ses paupières sont closes. Je le regarde à peine, prenant simplement garde à ne pas heurter le cul de bouteille en plastique transparent avec lequel il fait la manche. Ce matin comme tous les matins il ne réagit pas à mon passage. D’ailleurs il est mort. Cette nuit. De froid.
J’aime beaucoup
la caméra tournante, cette élévation – délicatesse
Sous toutes ces habitudes quotidiennes se cachent bien des drames. Ecriture très délicate de ces morsures de la vie. Bravo
Merci Françoise, merci Veronique!