Il entre, il balaye la cour du regard puis il avance d’une dizaine de pas. À trois mètres environ de la façade il se penche et il regarde le sol. Un autre aurait sans doute levé la tête, une autre conservé l’angle de vision le plus large. Lui c’est là qu’il pose le regard. D’instinct. Les pavés, cette parcelle à trois mètres du mur. Rien. Leur irrégularité parfaite. Leur bombé. Une mosaïque de gris; du grès peut-être. On aura gratté la mousse qui s’insinue dans les jointures. Et la crasse. Dans cette cour classée ou chaque détail est entretenu. Préserver la pierre, tout ce qu’ils savent faire. Un peu de poussière blanchâtre lui reste sur les doigts ( comme la farine qu’on saupoudre à la surface des pains dont il n’a jamais aimé le contact; le sang sur la farine, marron foncé il le devient, presque aussitôt, le sang sur la farine, c’est un fait, il fonce). Il y a bien une trace qui sinue, une ligne rouge. Quelque chose a goutté. Rouge. Rouge comme. Sans réfléchir associer rouge et sang. Chercher une trace . Quelque choses. Cette ligne rouge qui sinue? De l’encre avait coulé, en déplaçant une machine d’impression, dit le gardien, on n’a pas encore trouvé un solvant pour enlever cette tache, c’est prévu. Le Karcher même à la pression la plus basse on évite; la brosse et le jet d’eau une fois par semaine mais pour l’encre ça ne suffit pas. Si on a lavé depuis? (le gardien lui a ouvert une demi heure plus tôt, c’était convenu avec la direction; sur le badge le prénom lui semble imprononçable) … Oui. On n’a fermé qu’une journée. Venir dans cette cour classée et remonter loin dans le temps. Trois jours seulement le séparent des faits, une soixantaine d’heures. Et cette trace sur la façade, vous la voyez ? Au moment des grèves il y a eut des tag. Vous la voyez? Cette trace blanche est apparue après l’effacement, on avait employé un produit trop abrasif; c’est un fait qu’on ne peut pas revenir en arrière. Vous la voyez n’est-ce-pas? Sûr, là je discutaille, je m’accroche à des détails, c’est une façon comme une autre de ne pas trop penser à ce qui s’est produit, dit le gardien. Alors son regard glisse sur le mur, il se hisse au long de la façade, quatre étages de pierre ocre. Jusqu’aux fenêtres. Quatre. De hautes fenêtres. Les valeurs rosées de la lumière ce matin de juin. Une lumière presque indécente, il regrette qu’il fasse beau (et il s’en veut de penser ça). La fenêtre la plus à gauche, c’est sur le rapport, il l’a lu. La fenêtre du bureau. Celle qui est ouverte en grand. Est-ce qu’on ne devrait pas la refermer cette fenêtre? Il prend quelques clichés du sol; il photographie aussi la tache, ce tag effacé. Il ne sait pas bien pourquoi. A quatorze heures, il reviendra photographier. À l’heure des faits. Plongée et contre plongée. Puis il fermera cette fenêtre. Il faisait plein soleil, ce jour là, dit le gardien. Revenez un peu plus tôt pour un café. Alors à tout l’heure? En sortant il photographie le bas relief sur le mur à l’extérieur côté rue. « Quem pietas aperit miserorum in commoda fontem, instar aquæ, largas fundere monstrat opes (Cette eau qui se répand pour tant de malheureux te dit : répands aussi tes largesses pour eux)”. Une femme son sein nu. Les enfants affamés. Une écuelle. Le vestige d’une fontaine. Déplacé là.
— Juin 2011 — 46/48 rue de Sévigné Paris — Comme occupation professionnelle, le modèle d'art est, depuis qu'on en a des traces, une occupation à la limite de l'emploi formel et informel. Des écoles emploient des modèles, rémunérés à l'année — Laura ou Lorette — Le tableau représente une scène intime de pose où un artiste peint une femme dans son atelier, près d'une fenêtre, avec en arrière-plan une grande carte — Le sujet peint par l'artiste pourrait représenter la muse de l'Histoire, Clio. En effet, elle est coiffée d'une couronne de laurier — En 2008, à la suite de la suppression du cornet (ou chapeau) dans les Ateliers des beaux-arts de la ville de Paris, des modèles manifestent en posant nus en plein mois de décembre dans la cour de la Direction des affaires culturelles. Cette initiative amène les modèles à dénoncer le manque de considération pour leur profession et à créer des organisations professionnelles qui demandent la valorisation et la reconnaissance du métier de modèle et sa distinction du mannequinat bien qu'elles puissent diverger sur les perspectives statutaires du métier. — L'avis d'inaptitude oblige l'employeur à rechercher un reclassement pour le salarié. Néanmoins, il peut procéder à son licenciement s'il est en mesure de justifier : de son impossibilité à lui proposer un emploi compatible avec son état de santé, ou du refus par le salarié de l'emploi proposé.20 mars 2017 — Le suicide est qualifié d'accident du travail dès lors qu'il survient au temps et au lieu du travail. En ce qui concerne le suicide intervenu en dehors du temps et du lieu du travail, il peut être qualifié d'accident du travail si les ayants droit de la victime rapportent la preuve du lien avec le travail. — sans doute le chômage, avant le travail lui-même est-il toujours une cause importante du suicide des actifs — L’Ordre national des infirmiers a appris avec stupeur le suicide d’un infirmier dans la nuit de dimanche à lundi par défenestration du 8ème étage de l’Hôpital Européen Georges Pompidou (15ème arrondissement de Paris). — Caractéristiques socio-démographiques du suicide par défenestration :-Âge moyen: F: 28 ans, H: 36,5 ans,-Sexe: aucune disparité,-Niveau socio-culturel: solitude, activité ou non. – Le gardien d'une école a failli effacer une oeuvre de Banksy — L'accès au poste de gardien ne nécessite pas obligatoirement de diplôme et les entreprises de gardiennage dispensent leurs propres formations en interne. — Pour faire vivre ses services publics, la Ville de Paris recrute tous les ans 2 500 agent·es dans 300 corps de métiers, avec ou sans diplôme ou qualification, avec ou sans concours, avec ou sans expérience professionnelle. Alors pourquoi pas vous ?
C’est magnifique Nathalie, j’ai adoré. On est vraiment avec toi dans cette cour et comme on n’a pas tous les éléments on imagine et ça laisse un espace de possibles pour le lecteur. Très agréable. Merci
Merci beaucoup d’être passée lire Véronique.
Cette cour est intrigante, avec les traces indéterminées, ses pavés trop propres…
Merci pour ce très beau récit du lendemain !
Merci Fil pour le passage.Merci.
D’avoir à faire disparaître la tache dans un lieu classé… Belle métaphore de la sacralisation du passé. Votre approche est minutieuse, il n’y a pas de jugement mais ce curieux moment où le personnage fonce lorsqu’il voit « le sang sur la farine »… Un meurtre dans un fournil ? On se croit dans une enquête un peu routinière et on y prend plaisir. Eloge des cours à pavés bombés où l’on croit entendre le bruit des sabots et le crissement des roues de calèches…sans parler des jurons et des coups de fouet des cochers…
Merci Marie Hélène pour ces retours qui m’ouvrent des questions ( sacraliser le passé ou faire l’éloge des cours c’est involontaire ) le souvenir d’un fait me conduit là… ça m’intrigue à present
à faire disparaître la tache…
On peut corriger les commentaires en amont mais pas dès qu’ils sont sur la page d’un.e autre, c’est embêtant. Si vous connaissez la manip je prends. Merci !
J’aime beaucoup sur ce regard vers le sol qui signale l’anomalie, et ces palabres autour du nettoyage qui prennent la première place, en toile de fond, on ne sait pas quoi…
Merci Nathalie Holt pour cette subtile intrigante et magnifique attente en fenêtres sur cour.
bizarre comme je vois cette cour (rue François Miron) où a été (dans mon souvenir probablement faux – mais c’est comme ça) le film Camille Claudel (je ne sais pas : il y avait de la farine ? une trace d’encre rouge des stencils, tout ça ? ) (attendons la suite donc)
on revient vers les sols (proposition du début de cycle), et ça nous prend, cette cour classée… et tout cet étrange récit qui nous tient
il y a aussi la désolation de cet homme qui ne parvient pas à faire disparaître les taches, ça m’a touchée…
merci Nat