Syncope de l’enseigne. Une syllabe a disparu. Un corps aussi. Il y a longtemps. Disons années 1960. C’est au bas de la rue. À droite en montant. Côté pair. Au tout début. Je me souviens du corps vivant. Grand et chauve. Un homme souriant. Je me souviens aussi de l’odeur dans la boutique. D’encaustique, de cire. De produits qui piquaient les yeux. C’était profond. Et pas très large. Des étagères sur le côté. Des bidons, des boîtes, des flacons. Des clients aussi. L’homme était souvent sur le pas de la porte. Au seuil de son antre. On a dit ASSASSINÉ. Le pourquoi du comment, nulle idée. La boutique a changé plusieurs fois. Est restée longtemps vide. Les deux étages au-dessus ont été refaits. Ils ont de jolies fenêtres. La pierre des murs bien nettoyée. Un magasin de fringues d’occasion un temps. Mais pas longtemps. Là, c’est en rénovation, encore. Il n’y a pas de volet. Pas de rideau de fer. On voit à l’intérieur. Mais pas très loin. On voit l’ouverture d’une trappe. Juste derrière la vitrine. Descente dans une cave. Un entrepôt sans doute. Pour les produits de la droguerie. Chaque fois, je regarde. Je longe la vitrine. Je tourne la tête. Il n’y a pas de corps. Ça fait longtemps bien sûr. Mais moi je sais. Il y a eu un corps. Découvert mort. Du sang bien sûr. Mais plus rien. Des gravats à l’intérieur. À cause des travaux. Des sacs de ciment. De la poussière. Des outils. Personne ne travaille non plus. Une boutique vide. Un peu abandonnée.