L’homme se souvient. Il est debout au milieu de la foule. C’est une ville d’Amérique. Il est debout et ils passent. Il est debout et personne ne le voit. L’homme est un fantôme. Voilà ce qu’il se dit : je suis un fantôme. Ils passent et ils ne voient pas l’homme, ils passent et ils voient des corps en miniature qui s’agitent, qui courent après des ballons, ils passent, ils voient des filles qui se trémoussent, ils passent, ils entendent des battements de cœurs, en syncopes, tant de battements de cœurs que ce n’est qu’une rumeur sourde, un bruit de fond, ils passent et des hommes à cravate parlent, ils disent tout et son contraire, ils parlent tous en même temps, ils disent qu’ils sont pour, ils disent qu’ils sont contre, ils passent et les trains, les voitures, les avions passent, ils passent et c’est leur reflet qu’ils regardent, leur écho qu’ils écoutent, l’homme est au milieu d’eux, et ils ne le voient pas, ils voient des perroquets qui s’envolent, des fleurs qu’on arrose, des chats à moustaches exagérées, ils passent et ils regardent dans le vide, c’est un tunnel, un tuyau, un fil, une onde, ils passent, tout ce qu’ils regardent passe avec eux, ils passent au milieu de l’homme, ils ne le voient pas, ils voient des mots, ils voient des questions, des réponses, des pleurs, ils passent et ils voient des chatons, des chevaux, ils passent et l’homme au milieu d’eux n’est pas au milieu d’eux, au milieu d’eux passent des vibrations, des remuements, des sursauts, ils passent, le courant passe, l’eau circule, ils passent, l’homme n’est rien au milieu d’eux qui passent avec leurs femmes qui leur sourient, leurs enfants, leur chien, ils passent et l’homme est là et il n’est pas là, ils ne le voient pas, ils l’effacent, ils l’ensevelissent sous ce qu’ils voient, des trous qu’on creuse, des vêtements qu’on ôte, des bouches qui s’ouvrent et se referment, des pixels, des secousses, des glissades, ils passent et l’homme n’existe plus, l’Amérique n’existe plus, ils passent, et l’homme n’est plus là, il fuit les caméras, il s’est caché dans cette grange et soudain ils sont là, tous, et ils s’étonnent : qui es-tu, toi l’homme qu’on n’a jamais vu ?
Pile dans le flux, Vincent !
Merci !