Il est désormais facile de traverser le monde sans en rien voir, ni croiser personne. Par l’autoroute A6, vous traversez Lissieu entre des talus, un mur anti-bruit, des grillages et des haies d’arbres; c’est tout juste si on aperçoit le toit de quelques maisons. Vous verrez des tags sur le mur anti-bruit et les piliers des ponts, vous apercevrez quelques indications que vous ne comprendrez pas : PI 40,6 RN 6, Bief 41.5, PS 442,5 chemin de la cotonnière. Vous ne verrez rien. Vous ne saurez même pas que ce village existe quelque part pas très loin de Lyon. Il y a pourtant des fenêtres ménagées dans le mur anti-bruit. Pour qui, pour quoi ? Elles sont si opaques qu’on ne voit rien et de toute façon vous passez beaucoup trop vite.
Et puis parfois cette route qui longe l’autoroute où passe un cycliste, où quelqu’un promène son chien et vous vous prenez à rêver de la vie qu’on mène là et qui est peut-être heureuse, vous sentez comme une envie de découvrir, de ralentir, de plonger dans cet autre monde . Fugace envie, rêverie sans objet, il n’y a pas de sortie Lissieu.
C’est une drôle de sensation que cet enfermement hors du monde. Temps contraint, destination privilégiée au temps du voyage. Cela existe depuis l’apparition du train et c’est pire avec l’avion. Tout parcourir sans rien voir. Les aires d’autoroutes gardent de la poésie toute faite d’étrangeté bien loin de celle des départs de sentiers de randonnée. Roulez tout droit, votre destination vous attend. Il n’y a rien à voir ici. Pas de bifurcation possible. Tout droit, jusqu’à vous apercevoir que votre compagnon qui approche des 80 ans converse en secret par mail avec une amie qu’il a rencontrée en promenant les chiens.
Filer tout droit sans rien voir ni traverser avec ses cinq sens… terrible emprisonnement de l’autoroute.
Merci Danièle pour ce texte un peu révolté !
révolté ? pas dans ce texte ? si ? aterrée plutôt. Merci Fil d’être passé à Lissieu.
Oui, révolté, mais beau !
merci Helena
et quelle chute !
et on se demande là où on a raté l’embranchement ou la marche…
merci Danielle…
Une histoire qu’on m’a racontée à midi. Merci Françoise.
Bravo, c’est une très belle façon de t’approprier la consigne.
Merci et de garder Lissieu. Mais c’est une chose que je ressens profondément comme dans le film Tango de Z. les gens se croisent fascinés par leur but et hermétiques à ce qui se passe à côté.
« C’est une drôle de sensation que cet enfermement hors du monde. Temps contraint, destination privilégiée au temps du voyage. Cela existe depuis l’apparition du train et c’est pire avec l’avion. Tout parcourir sans rien voir. Les aires d’autoroutes gardent de la poésie toute faite d’étrangeté bien loin de celle des départs de sentiers de randonnée. Roulez tout droit, votre destination vous attend. Il n’y a rien à voir ici. Pas de bifurcation possible. »
La seule question que je me pose en lisant votre texte édifiant dont je partage l’analyse, est : faut-il voyager tout droit sur l’autoroute, à deux, enfermé.e.s dans une bagnole et surtout la conduire ? » et question subsidiaire, faut-il laisser un portable connecté sur les réseaux à un conjoint ou compagnon de 80 ans et plus ?
Je ne sais pas si le monsieur regarde ses mails sur un téléphone connecté en roulant à 130. Je ne crois pas. Le soir sur son ordinateur. c’est une histoire qu’on m’a racontée à midi et je n’ai pas tous les détails.
Tout droit ne rien voir du monde, et avec le gps, le remplacement de la carte par l’itinéraire, ne même pas nécessairement connaître le nom des étapes par où passé la route.