L’enfant a un rêve, un autre rêve que celui de l’Amérique, il a le rêve de marcher tout droit, de partir – dans tous les rêves qu’il a, l’enfant, il y a partir – et d’aller le plus loin possible, comme ça, en marchant tout droit, il rêve, l’enfant d’aller en Amérique en marchant tout droit. Il a tiré un trait sur la boule du monde et il a une boussole, l’enfant, et même s’il n’a jamais rien compris au sud, au nord et à tout ça, l’enfant, il veut suivre toujours la même direction, sans jamais changer et arriver comme ça jusqu’en Amérique. Alors, il part, l’enfant, et il marche tout droit vers l’Amérique, mais le chemin est long et c’est vite compliqué, parce que pour commencer il y a la maison de la vieille et qu’il en a un peu peur, de cette vieille, parce qu’on dit que c’est une sorcière, même si ce n’est sûrement pas vrai, il en peur quand même, l’enfant, et pour aller tout droit vers l’Amérique, il faut piler dans les haricots de la vieille et son jardin, à la vieille, il ne faut pas y toucher, mais s’il s’arrête déjà là, à cause de simples haricots, jamais il n’arrivera jusqu’en Amérique, l’enfant, alors tant pis pour les haricots, il y en a trois morceaux pleins, elle ne va pas mourir de faim, la vieille, et ensuite, il peut entrer dans le salon de la vieille par la porte-fenêtre et traverser – c’est toujours ouvert chez la vieille – ne pas trop faire de bruit pour ne pas la réveiller – il est parti tôt le matin, l’enfant, comme ça il a une chance de ne pas se faire rattraper – et ensuite traverser la route, enjamber le fil de fer barbelé, sauter par-dessus les moutons à Ernest et arriver devant l’usine – à midi dix – et dire bonjour au vieux moustachu et marcher sur le muret devant le parking et ensuite traverser la gendarmerie sans se faire coffrer puis des champs, puis la ville, ce sera plus compliqué, en ville, alors l’enfant a pris des cordes pour escalader les immeubles, et après la ville, il y a le lac, il ne sait pas nager, l’enfant, il marche sur l’eau, c’est écrit dans un livre, l’histoire de celui qui marche sur l’eau, il marche sur l’eau et il arriver de l’autre côté du lac, et il traverse les montagnes, il a pris de bonnes chaussures mais il a un peu le vertige, l’enfant, mais ce n’est pas grave, s’il veut aller tout droit jusqu’en Amérique, il doit oublier qu’il a peur et le problème suivant, c’est la frontière, il n’a pas de carte d’identité, l’enfant, il n’est jamais sorti du pays, mais dans les montagnes, les frontières, on ne les voit même pas, et l’enfant est déjà en France, c’est le seul autre pays que la Suisse qu’il faut traverser pour aller en Amérique, parce que tout droit vers l’Amérique depuis la Suisse, c’est seulement la France, l’océan, puis l’Amérique, alors il marche à travers la France, l’enfant, il court, il saute par-dessus des villes, il est pressé d’aller en Amérique, il arrive dans un port, il y a un bateau à rames, il rame jusqu’en Amérique, l’enfant, tout droit, toujours tout droit, c’est facile, d’aller en Amérique, il suffit de traverser la France et d’aller tout droit et c’est tout et il est arrivé en Amérique, l’enfant, c’est pas plus compliqué que ça, il suffit d’aller tout droit et l’Amérique, c’est là, sous nos pieds, avec de l’or au fond des ruisseaux, des cowboys, des saloons, des Peaux-Rouges, les gratte-ciel de New-York, et il se demande, l’enfant, si avec la corde qu’il a dans son sac à dos, c’est assez pour grimper par-dessus les gratte-ciel, parce qu’en Amérique aussi, il ira tout droit, l’enfant, il fera comme dans le film, Forrest Gump un jour décide de courir et il va tout droit jusqu’à l’océan, mais l’enfant il va plus loin encore, il le traverse, l’océan, et il traverse l’Amérique et il traverse encore un océan et il traverse le Japon et la Chine et la Russie et la Pologne et l’Allemagne et il est de retour, l’enfant, il est dans la grange avec le livre d’Amérique et le cahier et il se dit que faire le tour du monde, finalement, c’est facile.
Très touchant, Vincent !
Le monde à hauteur d’enfant…
Un grand merci !
Ça me travaille beaucoup, ces histoires de tours du monde rond. C’est bien de lire ta version.