Je pars de la grande place et me dirige vers le sud. A partir de là, puis-je choisir ma route ? Je traverserai ce qui se présentera sur mon chemin, êtres et choses, tout ce qui est en perpétuel mouvement, l’immobilité est cause de souffrance, voitures, vélos, motos, bus, camions, trottinettes, passants. Pas de maisons, pas d’immeubles, pas de monuments, et si, par malheur, je dois traverser l’un de ces espaces clos, que je n’y voie pas la force lâche qu’ailleurs on dissimule, les visages aigris de l’ignorance. Uniquement les rues et les places et les jardins. Les grands espaces clairs où l’on présente son meilleur sourire. Si je dois traverser les pensées, qu’elles se révèlent sans heurts, quand vous reverrai-je, où ira-t-on cet été, j’ai oublié d’acheter le pain, trop rapides pour qu’on puisse y discerner de l’amertume ou de la rancœur. Les grands espaces de la banalité, surtout si c’est un dimanche ou un jour de vacances, sont les bienvenus. Les corps fatigués regardant imperturbables par les hublots des bateaux qui traversent le fleuve, les yeux habitués aux ressemblances, la conversation anodine. Bien-sûr, comme dans tous les voyages, peu de choses se passent comme prévu. Poussés à regarder de près ce qui au loin paraissait si blanc, les grands silos sont vides, les cheveux s’emmêlent dans les toiles d’araignée, le bruit des pas sur le sol effarouche les oiseaux nocturnes qui n’ont pas vu le jour arriver. Tout devient net et précis puisqu’il n’y a personne, on marche sur l’inconnu, sur la marée qui monte et les morceaux de bois qu’elle transporte. On parcourt les salles autrefois remplies de leur propre importance, on bouscule les herbes folles des fenêtres aveugles, on s’embourbe dans les cimetières de sel et on avance jusqu’à ce que le corps s’enlise dans les eaux boueuses du marais et disparaisse à peine étourdi de beauté.
très beau
j’ai traversé ton texte en empruntant la route du sud et j’ai vu les cimetières et j’ai atteint les marais
Merci, Françoise ! Heureuse que tu aies aimé mon chemin tout droit ! Vais te lire !
Beau trajet, Helena, qui nous emporte en traversant tout, rues, bâtiments et personnes. Pour nous retrouver dans le blanc.
Merci pour ton super texte sensible, subtil et prenant !!
Merci, Fil ! En fait, le blanc était censé terminer le texte, mais la course s’est prolongée un peu plus.
Bravo pour ce texte nostalgique et fantastique, comme un monde après une apocalypse.
Le scénario donnait cette sensation, en effet. Merci, Laurent !