La nuit est profonde. Des chaussures crissent sur le gravillon de la rampe du Coche d’eau. La rangée de cyprès fait corps avec les ténèbres. Plus de lumière dans les bateaux amarrés le long des quais du canal mais des corps endormis sur les ponts. La journée a été torride et la fraicheur peine à gagner du terrain. Une vieille femme s’enfonce dans la nuit. Elle marche. Les quais ne sont plus éclairés à cette heure tardive mais elle n’est pas craintive. Elle connait le chemin. Elle suit sa ligne – droite – sans se soucier de ce que communément on appelle des obstacles. Elle marche. Avec l’aide des ténèbres elle traverse. Jardins, villas, petites et grandes bâtisses. Elle ne s’arrête ni devant le fleuve –ses eaux noires comme un tapis déroulé – ni devant ce mur qui transpire le chagrin dans lequel elle disparait pour réapparaitre dans la cour de l’ancienne usine à gaz transformée en boite de nuit. Elle n’entend pas la musique contenue dans la tour carrée de style art-déco, elle ne voit pas la silhouette des jeunes gens qui s’écartent à son passage. Elle marche. Elle traverse, viole l’intimité de logements en guenilles, de logements en débâcle, passe à travers les grilles étroites du Plateau des poètes, rencontre les inconditionnels de l’ivresse vaincus défoncés écroulés sur les bancs, accède au voisinage nanti du jardin, en apprécie les illusions pleines de faste. Elle marche. Elle monte, elle descend. Elle entre, elle sort. Les murs n’opposent aucune résistance – de la guimauve. Ici l’éclairage public en berne. Là un lampadaire sur deux allumé. Au loin gronde le tonnerre. Gronde, roule et claque. Une averse. Elle est indifférente aux intempéries. Elle marche. Elle dégouline. La montée est rude mais en haut, les Arènes. Mais en haut, l’arrivée. Dernier quartier, des maisons individuelles avec jardin, toutes les mêmes sous l’emprise de la nuit. Elle ne rencontre personne. Même les insomniaques dorment à cette heure-là. Exceptée une jeune femme brune qui écrit en buvant un vin d’orange fait maison, attablée à son bureau. Elle l’entend qui traverse le mur de la cuisine et sans se retourner lui dit il vous attend. L’orage est passé. Les premiers camions-poubelles vont bientôt commencer leur ronde. Les grilles d’entrée des Arènes ne sont pas fermées. Elle entre. Elle avance jusqu’à la piste. Là, au centre, un vieil homme. Il lui tend un habit de lumière et se dirige vers la porte du toril. Aller tout droit sans se retourner, avancer, traverser, franchir, engranger et maintenant, dans la moiteur d’une nuit d’été, tout restituer au cœur même des arènes. Mourir là où elle n’a jamais réussi à vivre.
Très belle traversée !
Merci Claudine.