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ONSIEUR TEMPS est à la bourre.
Il doit livrer une image et un commentaire
à ses commanditaires.
Il est sorti par sa fenêtre
pour aller plus vite et
c’est alors qu’une scène de ville
l’obligea à poser sa caméra.
Il préféra s’en servir avec la
fonction image fixe,
histoire de ne pas trop s’ennuyer
à attendre que quelque chose de
plus intéressant se passe .
On ne prévoit pas
que quelque chose se passe
à moins de se poster toujours
au même endroit,
pendant un an,
par exemple,
comme dans le film TISHE !
de KOSSAKOVSKI
ou tout un été comme
Marguerite DURAS
derrière une fenêtre
donnant sur la mer étale et
une plage où il se passe
toujours quelque chose
de nouveau.
Mais Monsieur Temps
n’ a pas le choix,
ni le temps suffisant,
il fait un métier
d’ange à temps partiel,
il replie ses ailes quand
il ne s’en sert pas, il ne
fait que passer et saluer de
la tête celles et ceux
qui veulent bien en faire autant.
Il est un lointain cousin
d’un figurant qui avait été
embauché pour filmer
Les ailes du désir
de Win WENDERS.
Il se souvient très bien
des personnages juchés
bien au-dessus du genre humain
ou tout contre
en version « invisibles », avec
des sourires forcément
angéliques et des intentions
généralement bienveillantes.
Il a envie de leur ressembler…
Un Ange passe , allons donc à sa rencontre, tu en as aperçu deux à une fête d’école, dans le stand du tatouage avec de la colle et des paillettes. Ils semblaient être frères mais d’âge très rapproché. On se trompe souvent quand on essaie de deviner , au hasard : celui-ci est l’aîné, celui-ci est le suivant… Tu ne leur a pas demandé, tu les as observés longuement. Ils avaient des visages de garçons durs, tels qu’on les voit dans certains films, incarnant les rebelles à cicatrices et les sournois au regard de biais ,ils semblaient pourtant complices et doux comme de tendres veaux, ils riaient et regardaient avec envie les enfants en train de se faire tatouer. Deux par deux derrière les barrières municipales, assis devant deux femmes volontaires, de chaque côté d’une vieille table de camping, avec plein de pochoirs en papier au milieu et leurs motifs différents, certains difficiles à reproduire en si peu de temps de séchage. Le visage des enfants qui se font tatouer est plutôt grave, intimidé, ils donnent l’impression qu’ils subissent un vaccin… Les plus délurés ont des revendications , de couleurs surtout, les petits se laissent faire avec un regard qui part ailleurs ou rejoint celui de la mère. Les pères sont vers les jeux bruyants, le massacre, les jeux de bois, la mixité se retrouve à la pêche à la ligne. Les cadeaux ne sont plus emballés dans du papier cadeau, avec du ruban en bolduc et une anse nouée pour mieux les accrocher, ce sont désormais de petits rondins tranchés à deux ou trois centimètres au centre duquel a été vissé un gros crochet en acier inoxydable. A chaque bout de bois rattrapé , avec la canne à pêche et son crochet en fer tendre, pour 1 euro, l’enfant reçoit une babiole en plastic de son choix puisée dans l’un des sacs poubelles. Les pistolets partent en premier… Il y a des jeux gratuits à base de bois dans le gymnase. On apprend que les préparations de fête pèsent trop lourd sur l’emploi du temps des enseignant.e.s et que le covid a pas mal démobilisé les aides bénévoles extérieures. Les fêtes d’école ici n’ont plus rien à voir avec celles que les générations antérieures ont connues, avec des spectacles et des surprises collectives. On ne peut plus projeter …La fête a été annulée deux années de suite. Il faut prioriser la rentabilité de l’événement, récolter de l’argent en mettant des babioles en lots contre des tickets à o,50 ou 1 euro, il faut faire la queue pour les obtenir, on ne manie plus de monnaie directement. La cour est sonore, les cavalcades et les cris d’enfants ne sont pas canalisés, on ne s’entend pas parler, mais les gosses s’amusent, se poursuivent avec des pistolets à eau et se battent avec des épées en ballon saucisse gonflable.Le seul moment de rassemblement a lieu à la fin de la fête pour le tirage de la tombola, avec une vingtaine de lots pour plusieurs centaines de tickets vendus, une console nintendo fait battre le coeur de plusieurs grappes d’enfants que le directeur essaie en vain de faire reculer devant le podium. Image du jeune gagnant rayonnant, images d’écoliers en pleurs ou rageurs consolés dans les bras maternels,l’espoir était très grand pour des mômes de quartier pauvre d’emporter ce gros lot pour les vacances d’été. L’enfant vient nous voir : – J’ai plein d’pognon ! Il montre tous les tickets qu’il n’a pas utilisés. Je peux vous offrir quelque chose, si vous voulez ? Volontiers ! et Merci ! Deux Mister Freeze à la fraise, un cône au chocolat, c’est tout ce qui restait… Fête d’école… De Visu…
Ca se passe à nos fenêtres en contrebas.Le passage matinal des gens de presque toutes générations. Les bébés ont disparu de l’immeuble. Les jeunes enfants sont ceux d’une famillle étrangère et les petits -enfants de certains d’entre nous le mercredi ou pendant les petites vacances scolaires, parfois les grèves de cantine ou d’enseignant.e.s. Elle sert à cela la génération baby boom entre deux confinements. Il n’y a plus que le calme des têtes grises ou blanches qui prennent l’ascenseur devenu lent lui aussi. Les repas de famille et les fêtes d’immeuble mettent un peu d’ambiance. Mais des paliers aussi rapprochés n’incitent pas à l’intrusion. L’entraide existe, elle est poncutelle et ciblée, par affinités. On se relève le courrier. On se salue à la boîte aux lettres. On se connaît. La concierge d’origine portugaise fait un lien plus actif entre les personnes. Entre chaque veuvage ou déclin d’un.e résident.e, elle signale discrètement et les soutiens se font spontanément par sympathie préalable et cooptation. Elle est efficace et très serviable.C’est la personnalité ressource de toute la Résidence et elle est très respectée. Elle est l’une des premières à circuler en bas, sur l’allée rose, pour déplacer les grosses poubelles grises jusqu’à l’avenue au bord du portail, son mari l’aide le soir. Il y a eu beaucoup de morts dans cet immeuble depuis 40 ans. Ca s’est passé en bas, à l’intérieur, dans le hall, une fin d’après-midi… Une silhouette , couchée sur le ventre, les bras écartés,tête de côté , devant, une table et deux officiers de police, un homme, une femme, le visage grave, silencieux, un troisième devant qui détourne les arrivant.e.s vers les escaliers à droite… On monte vers les étages en murmurant des questions aux voisins voisines… C’est untel, il vivait avec sa vieille mère à moitié aveugle qui ne sort jamais, il ne parlait à personne, il avait eu une rupture amoureuse, il travaillait, c’est tout ce qu’on sait… on verra bien dans le journal… On réfléchit, on se concerte… Il faut aller voir la Dame, savoir de quoi elle a besoin pour ce soir, attendre d »abord que la police ait terminé sa visite macabre et mette à l’abri des regards ce grand corps effondré maintenant recouvert d’un drap blanc… Emotion viscérale, sensation de quelque chose d’irréel, parler même à voix basse fait du bien dans les étages… On ouvre les portes de palier pour se concerter… On attend longtemps… On redescend… Tout le monde a disparu… Il n’y a pas eu de sirène… Quelqu’un dit : Je le connaissais bien, sa mère aussi la pauvre, les policiers ont dit d’après avis médical, qu’il est tombé après avoir fait un arrêt cardiaque en sortant de l’ascenseur, il avait des antécédents… il n’avait pas cinquante ans… c’est terrible… il ne parlait pas beaucoup… Chacun.e rentre chez soi et on reprend la vie où on l’a laissée… On ressort pour aller voir la mère… Il y a encore deux policiers chez elle.Elle est toute ratatinée de stupéfaction et de chagrin, sa nièce est là, on repart avec l’assurance qu’elle ne restera pas seule cette nuit… On dormira moins bien, sachant ce que l’on sait , ce que l’on a vu… Des semaines et des semaines ensuite, à contourner une silhouette invisible pour l’éviter en prenant l’ascenseur, la revoir certains soirs dans une hallucination, comme si cela s’était produit la veille… Mort marquante d’un inconnu dans l’immeuble, plus aucune trace.