D’où je suis je vois la dame au chien qui n’a plus de chien depuis qu’il est parti. La dame au chien moyen, perdue. Noir à taches blanches bien circonscrites. Celle entre les deux yeux on dirait l’Espagne ; une tache blanche comme l’Espagne entre les yeux du chien. Entre les yeux du chien qui ne crotte que dans le caniveau (son sac et sa petite pelle pour ramasser les déchets sur le trottoir). lui qui est parti depuis. Hier elle dira. « Hier », demain quand je la salue : Marcel perdu, Marcel disparu, elle le dit entre ses dents. La femme au chien perdu je la vois à l’ombre de mes arbres. Sur le trottoir. Qui est là tous les jours ou presque. « Mon chien, un noir et blanc moyen avec une tache entre les yeux, on dirait l’Espagne sous la neige », c’est ce qu’elle dit quand elle alpague les passants sur le trottoir. Même l’ouvrier. Sont pressés les gens. Courent au train. Tous. Les matins elle vient elle est là, comme elle venait. La laisse pend à son poignet, une laisse télescopique qui ne s’enroule plus jusqu’au bout depuis longtemps. Un mètre pend. Avant déjà avec Marcel qui est parti. Avec qui ? Une marron frisée aux yeux vairons. Ah ! Quand le chien sautille autour d’elle elle rit ; sautillait, il faudrait écrire. Elle rit. Elle riait sur le trottoir. Marcel aboie un peu. Une jolie voix. Aboyait. Baryton le chien. Tendre et tout. Toutou. Tout parfait. Marcel qui faisait dans le caniveau. Et après elle ramasse. Ramassait. Souvent bien mise la dame au chien moyen avec des taches noires et blanches. La coiffure comme d’une coiffeuse, brillances jais et reflets auburn. Je balaye le lundi devant ma porte, un prétexte pour voir la rue. Plus près. Je la trouve défaite la dame. Noire jais avec ses racines grises, tachée, les yeux battus même pas chaussée, en crocs de jardinage sans chaussettes. Je balaye. On se dit bonjour. Je dis bonjour à l’ouvrier qui fait le trou. A Marcel qui fait son « cacou » qui faisait. Trois mois que ça dure. Que je l’entends avec sa pioche. Qui creuse. C’est long un trou. Et la femme qui appelle : Marcel ! Marcel ! Ses sanglots. Je sors le lundi pour voir les pressés du train. Je sors ce lundi. Je balaye ou bien je gratte les mauvaises herbes. Je sors pour voir si la rue change. Je n’ai rien à faire. Ni le lundi, ni ce lundi. Rien à faire. Ni le mardi. Ni demain. Je la vois la dame au chien. C’est quoi son nom? Si je peux aider, Madame ? Mercredi c’est marché je pourrais chercher Marcel après les courses. Je sors pour voir les pressés du lundi. Ce lundi qui vont au train : Monsieur mallette, Madame mallette, Monsieur et Madame écouteurs sac à dos, la joggeuse rose, Madame tailleur (c’est l’hôtesse de l’air de sept heures quarante cinq du lundi très jolie). Des gosses qui vont au car. Cartables. Patinettes. La Vespa jaune, une romaine qui est au marocain qui répare très bien les voitures. C’est un petit moment animé. Je sors. Ce lundi. Et le prochain. Elle les interpelle ce matin comme hier. La dame au chien perdu. Les interpelle qui se retournent à peine. « Si vous n’avez pas vu un chien noir avec des taches blanches. Très gentil. C’est Marcel, c’est Mon chien et elle demande à l’ouvrier qui fait le trou. Presque fini. Marcel ?
écrire tous les jours c'est le protocole
Super texte, Nathalie, très enlevé !
Merci pour le moment de lecture, fort agréable.
ah oui (l’amour même sans amour c’est quand même l’amour) (hein) https://www.youtube.com/watch?v=cgHSfqFR_lY –
après on peut changer le genre (hein) (du même) https://www.youtube.com/watch?v=V3UKTh9g4ps
alors évidement on tremble pour le chien qui aurait peut être glissé dans le trou ? retrouver et aimer souvent chez toi l’oscillation entre tragique et drôle
Désarrois en miroir. Universelle angoisse.Quel texte. Je ne vous dit pas merci Nathalie. Trop terrible. Mais bravo.
Un assemblage de pièces parfois identiques ou légèrement différentes, une répétition qui grave son sillon dans notre perception de ce monde en timbre-poste. J’aime beaucoup.
Ce récit pourrait très bien s’ajouter à ton recueil de nouvelles « Ils tombaient », tellement il est fort, dense, si bien ancré dans le réel qu’il en effleure le fantastique ! Merci, Nathalie !
Merci Hélèna tes mots me touchent ( effleurer le fantastique )
Fil, Piero, Jean-Luc, Ugo, Héléna merci de vos lectures
quelque chose d’implacable dans cette descente dans le trou en fait, cette résonance entre le creusement et la disparition (le creusement que ça fait)
traversée très bouleversante
Et creuser un peu avant disparition… merci Françoise de ton passage ( bonjour aux pierres de ton chemin… à ton jardin !)