Tous les jours à intervalles plus ou moins réguliers, les tramways jaunes trainent leur lourdeur métallique sur des rails qui déchirent les pavés, à l’intérieur, des visages au regard de poisson triste collés aux fenêtres, une sonnette hystérise leur passage; une fois par semaine l’aiguiseur de couteaux leur répond par deux notes agonisantes sur son vélo équipé d’outils d’où giclent des étincelles ; tous les soirs, les tables et les chaises de l’esplanade d’en face filent à l’intérieur du café ; tous les matins, à sept heures, elles réapparaissent sous l’auvent, l’homme et le chien qui lui ressemble sont leurs premiers arrivés ; toutes les soixante secondes, les avions compliquent le ciel ; le 16 juin 2016, un incendie a ravagé l’immeuble d’à côté, lançant la panique dans le quartier, un homme sur une terrasse a filmé toute la scène, avide de tragédie ; les jours de pluie, une grande flaque se creuse juste au milieu du croisement des rues et fait SPLASH sous les roues des voitures ; tous les vendredis soir, il y a un amas de gens qui font la queue pour entrer dans le restaurant du grand chef, invraisemblablement ; en juin, des cars de location s’arrêtent au feu rouge qui tourne au vert, passe par l’orange et revient au rouge, bouchent la circulation, ribambelle d’enfants, rires et cris, les parents leur font signe de la main sur le trottoir, c’est l’été qui commence avec la mer au bout ; tous les matins vers dix heures, ma voisine du 2ème va promener son chien identique à celui qui est mort il y a trois ans ; à partir du mois de mai jusqu’en septembre, les tongs hawaïens et les shorts croisent les rues en tous sens, prêts pour un saut à la plage si le cœur en dit, serviettes et maillots de bain sèchent sur les barreaux en fer d’une terrasse ; l’habitant y surgit parfois pour fumer une cigarette ; tous les jours à toute heure, des sacs, des emballages en carton, des caddies, des enfants par la main, différentes races canines sillonnent les trottoirs ; des voitures s’arrêtent où il ne faut pas pour déverser objets et passagers ; les deux tours de l’église au loin ressemblent aux décorations glacées et comestibles des gâteux de mariage ; le fleuve est traversé par tous genres d’engins flottants ; le soir, le pont s’illumine ; en septembre, les couchers de soleil foudroient le ciel presque noir ; le 25 avril 2014, le jour où mon regard s’est posé sur ce carrefour pour y revenir sans cesse.
Texte magnifiquement écrit, Helena. On sent tout l’amour que tu as pour ce petit bout de Lisbonne.
Merci !
Merci, Fil ! Oui, c’est vrai, à part le bruit !
Dilatation, concentration du temps, ralenti, accéléré, c’est très beau et très réussi (et très agréable de reconnaître la ville)
Merci, Xavier !
Que c’est beau ton texte ( des avions qui compliquent le ciel ou les églises comme des gâteaux de mariage et la flaque qui fait SPLATCH…) collectionner des habitudes ou poser des miroir sur le sol … retrouver le même regard ( le tien)
Oh, merci, Nathalie d’avoir fait ce rapprochement !
Oh oui très beau ce texte Helena découpant dans le temps la belle collection. Merci Helena.
Merci, infiniment, Ugo !
Tout concentré en un seul endroit, flux et reflux de gens, de véhicules, de nuages, de chiens, d’enfants, de cars de location etc…
ah ton petit bout de Lisbonne !
je l’imagine…
et je te vois à ton tour traverser le carrefour
Merci, Françoise. Et tu me donnes un idée : j’aurais dû me décrire moi-même en dédoublement puisque je traverse tant de fois ce carrefour. Merci encore !
Bravo, le temps se dilate au grès des souvenirs, tout est fluide et simple.
Merci, Laurent !