Enterrés les beaux timbres aux couleurs passées – vert pâle, sépia, incarnat – venus d’Indochine, du Maroc, d’Algérie, découpés sur les enveloppes du courrier de mon père. Tellement d’histoires derrière ces noms de pays inconnus, avec cette mention attristante ORPHELINS DE LA GUERRE, tout un monde à inventer. Glissés dans l’écrin satiné d’un ensemble de baptême (cuillère et coquetier enlevés de la solide boîte bleu marine) et enfouis dans la terre de la chênaie derrière la maison de l’enfance. Appris à perdre à douze ans. Ça ne fait pas un livre ?
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Avant de refermer le paquet, il avait glissé un exemplaire du dernier livre lu, l’engloutissant sous les dizaines de lettres, de cartes postales, de dessins, de collages qu’il retournait à son ancienne compagne, celle qui l’avait supporté durant plus de vingt ans. Le verrait-elle tout de suite ? En comprendrait-elle la signification ? Le lirait-elle ? Yoga racontait un peu son histoire, celle d’un homme qui se découvrait bipolaire à plus de soixante ans, et qui revivait sa vie à l’aune de cette information. Les débuts de leur rencontre et leur vie commune avaient été tissés de ces échanges épistolaires, longtemps quotidiens, de missives spontanées délirantes, de lettres cartonnées peintes ou débordantes de papiers collés, de fax à l’encre délavée, de boîtes de sardines expédiées tels de petits colis, comme il était encore possible de le faire des années plus tôt. C’était tout un passé où il ne se reconnaissait plus qu’il retournait à leur destinataire.