C’est une chose que font les Tibétains, d’empiler des cailloux en forme de tours. Ce sont de petits monuments à vocation religieuse qui marquent le chemin.
Tous les gens qui sont sur les photos finissent par mourir et les photos restent, Je lui ai dit, tes albums de famille, c’est un cimetière, tu ferais mieux de t’occuper de ton jardin.
mARIE DESPLECHIN la photo – EStuaire EDITIONS -carnets litteraires
Ce qui est acté dans cette proposition # 21 Bis, c’est le choix de la narratrice de rassembler des photographies et de les présenter en noir et blanc. Cet endroit évoqué n’est pas très éloigné du village de Poule- Les- Echarmeaux (Rhône) berceau familial côté paternel. Le cimetière en atteste. Ce village jadis prospère qui a gardé très peu de commerces, se situe à une soixantaine kilomètres de Lyon au nord, en passant le Tunnel de Fourvière et en bifurquant sur la gauche pour prendre la belle Vallée d’Azergues dont la route est très bien entretenue. Passé Lamure -sur- Azergues et en ayant croisé des scieries plus ou moins abandonnées, on se retrouve au pied des Douglas, ces hauts pins d’origine nord-américaine plantés serrés ici et qui ont subi une tempête terrible en 1999 qui a transformé la forêt en gigantesque jeu de mikado. Le large sentier forestier qui menait à la Croix St Roch a été obstrué pendant plus d’un an. Traverser la forêt était devenu dangereux. Depuis de grosses machines sont passées, de lourds camions à remorque ont défoncé les chemins et créé des rigoles infranchissables autrement qu’à pied : – Une seule maison au milieu. La notre, nous dit la narratrice, une vieille ferme qui devait accueillir une installation chevrière pour l’un de nos enfants. Il a fallu changer de projet . Le manque de pâturages accessibles autour et la réticence des paysans à céder le moindre lopin de terre en location a enterré définitivement ce projet .D’autres facteurs ont abouti à un renoncement définitif à s’installer dans cet endroit pourtant charmant et champêtre. Malgré de mémorables fêtes familiales ou amicales aux beaux jours, et même en hiver, la maison de pierres s’est vexée, elle a pas mal déprimé par la suite et elle est désormais en vente. Mais s’en séparer est un crève-coeur. L’eau de source de déclivité qui la desservait a tari ou a été détournée par les racines. L’adduction au réseau villageois est à faire. Le rêve de retour aux roots et de rapprochement familial a été anéanti. Il s’est éloigné ailleurs dans le Sud où d’autres déboires ont sévi. La vie paysanne sobre et responsable ne fait pas partie des axiomes des technocrates des Ministères de la Culture. Le paysan est considéré comme un consommateur de crédit et il ne peut pas vivre simplement de son travail. Certains vont au suicide c’est pouquoi les autres préfèrent tirer leur épingle du jeu et se reconvertir.Les plus téméraires s’endettent et se crèvent la paillasse jusqu’aux accidents de santé qui leur font payer l’addition. Un gâchis monstrueux. Quelqu’un dans la famille de la narratrice disait souvent : » Moi , je n’ai pas de la terre collée aux semelles » et s’en vantait au moment où il s’est aperçu que son oeuvre paysagère, verger et vignes serait détruite et bradée pour de l’argent, faute de relais dans l’entretien et de respect filial… Son patrimoine a été abandonné et confié à des sans -mémoire. Tout le contraire de ce qu’il prônait en reprenant la bicoque la plus déglinguée de son propre héritage paternel qu’il a transformé en « Maison du Bonheur’. Dont Acte, et toute une reflexion sur ces questions de transmission. Peut-on garder nos maisons dans des livres ? Comment les habitons-nous et traversons-nous en rêve ? La forêt St ROCH et son traumatisme météorologique est le symbole involontaire de la vanité des désirs de transmission directe. Quelque chose de plus fort dans le cours des événements fait fracture dans les lignées familiales dont on se demande au bout d’un moment si les effets matériels qu’elle provoquent ont une valeur plus affective que factuelle. Les Offices de Notaires sont les dépositaires de tous les projets de Maison du Bonheur avortés ou dévastés.
MAISON à RENDRE à QUI ?