Comme je n’arrive plus à écrire, j’ai décidé de semer des graines d’inspiration autour de moi. Plus précisément : des graines de courge. Quatre, pour être précis : le nombre de jours de blocage artistique. Je compte simplement me balader, pas longtemps, pour éviter là encore d’intellectualiser ma démarche, et je déposerai délicatement une graine à côté d’un endroit symbolique, accueillant, étonnant, parce que l’énergie du lieu m’appelle. Puis voir ce que ces graines vont essaimer, d’abord dans le quartier, ensuite et surtout en moi.
Aujourd’hui, soleil souriant. J’ai une petite heure devant moi avant que mon frère ne vienne me chercher pour passer la journée dans la famille. J’aime l’idée de laisser des traces de mon passage en matinée, puis de permettre aux aléas du quartier de prendre le dessus sur celles-ci… avant que je revienne en soirée constater les éventuels changements. Météo venteuse ? Nourriture offerte aux oiseaux ? Jeu d’un enfant observateur ? (Aurai-je été moi-même vu, pris en flagrant délit courgien ?) Les courges seront probablement déplacées ; peut-être auront-elles disparu ou alors resteront-elles sagement à l’endroit initial. Et ce sera tout aussi bien. Quoi qu’il arrive, aucune déception à avoir. Je ne m’attends pas à une révélation ; seul le geste ici compte.
Première courge – dimanche 3/07/22, 10h37
A deux pas de chez moi : petit coin de terre, entre un muret et 3 boîtes aux lettres. L’espace est une frontière. Il donne sur le terrain de la maison de repos, coincée sur le coin du carrefour. En poursuivant ma marche, mon regard est attiré par une bobine de film de la taille d’un cliché à insérer dans un appareil photo. Je le ramasse. Quelqu’un l’a fait tomber et le voilà innocemment offert au premier venu. En l’occurrence : moi (bien qu’il puisse avoir été égaré depuis des heures ; les gens ne regardent jamais le sol, quand ils marchent). Un portrait de famille, probablement. Deux hommes entourant une fillette au chapeau de paille trop grand pour elle. Ils posent sur des rochers escarpés, devant une mer déchaînée. Difficile de cerner l’état d’esprit des adultes (le cliché est minuscule) mais l’enfant a l’air heureuse, au vu de ses bras qui s’écartent comme pour souhaiter la bienvenue. Et c’est moi qui suis accueilli ainsi, par la force des choses. Ce cliché, j’aurais très bien pu le laisser par terre, sans même y toucher. Juste le regarder en me penchant, m’amuser qu’un détail aussi aberrant d’intimité se soit perdu dans l’océan urbain, à la portée de tous ou de personne. Et je l’ai volé. J’aime cette idée, car elle ne prête pas à conséquence.
Dorénavant, à chaque graine de courge placée dans un lieu, je chercherai un objet à récupérer.
Deuxième courge
Coincée perpendiculairement, entre deux dalles à hauteur humaine, au numéro 52 d’une rue avoisinante. Pour protéger un ami parti en vacances, qui habite à quelques mètres de l’espace choisi. Un Bic noir sur un autre muret. Je me l’accapare.
Troisième courge
Je frotte entre mes doigts chaque future graine de courge. Ça me rassure. Je mets plus de temps à trouver le lieu. Toutes les habitations se ressemblent. Et choisir un plant d’arbres, c’est trop facile. Ecole maternelle Aurore, pourquoi pas. Lien avec mon métier, manière de m’en détacher, voir quelle place il prend encore dans ce début de vacances. Je déposerai la courge n°3 sur un tas de vieux cartons humides, bien mise en évidence, comme ceux-ci, comme ça j’ose espérer qu’elle disparaisse très rapidement avec les immondices. Un vélo de femme, à en juger par le cadi rose à pois blancs, trône de l’autre côté de la placette. Mon acquisition : un bout d’un paquet de cigarette. En tournant le carton d’une certaine manière, on dirait une bête à cornes.
Quatrième courge, 11h09
A l’entrée du bois, pilier droit, à l’abri des regards. Récupéré deux graines d’érables d’un vert intense, qui restent jointes. Je n’ose pas les triturer. Plaque d’immatriculation 2-BAD, voiture garée devant le snack The Place to be. Je rentre chez moi. Il va être temps d’entrer dans l’autre partie de la journée. Bon, j’avais raison de tenter l’expérience, non ?
Deuxième cycle : vérifications, 20h42
Après une journée sociale, revenir au même parcours, en milieu de soirée, relève presque du pèlerinage. L’air est différent ; tout fonctionne au ralenti et clame le besoin de repos. Les habitants profitent de l’accalmie avant la reprise d’une nouvelle semaine. Presque personne dans les rues, pourtant la météo est idéale.
Graine 1 toujours fondue dans le décor ; c’est à peine si on la distingue, mais elle est bien là.
Graine 2 disparue. Retirée ? C’est vrai qu’avec un bon coup d’œil, on pouvait la repérer et souhaiter retrouver l’aspect homogène du muret (ce bord qui dépasse m’amusait. J’étais sans doute le seul. Honorons sa mémoire).
Graine 3 invisible. Ne s’est probablement déplacée que de quelques centimètres, a probablement glissé pour se laisser envahir sous la pile de déchets, mais je ne la vois plus.
Graine 4 : n’a pas bougé. Les graines les plus immergées dans la nature sont forcément celles qu’on laisse le plus tranquille.
Ici s’arrête la première journée du retour de l’inspiration.
Bonjour Grégory,
Belle idée, ces graines d’inspiration !
Un grand merci pour ce beau moment de lecture !
Planter des graines pour que les mots poussent et vous poussent plus loin est une amusante idée. Elles intègrent l’idée de la perte et celle de l’espérance dans le projet de livres où la vie est présente avec tous ces décors, imprévisibles ou plantés à la manière des jardinier.e.s optimistes. C’est une bonne conception de la création littéraire que de l’inventer au fur et à mesure. Je vous lis avec un sourire au coeur et en pensée. J’attends qu’il essaime lui aussi . Bon Lundi !
Une très belle idée ces graines, certains déposent des poèmes en offrande dans la ville comme un petit bout de tendresse pour celleux qui voudrait. le hasard de l’inspiration. Germer les mots.