#40 jours # 21 | Portail national

Figure 50 – Le Portail national de Sauveterre – Google Earth en street view, juin 2013 – copie d’écran 09072022

Descendre la rivière en barque, passer dans toutes les voies de navigation annexes, remonter dans chaque bief, et ce faisant, déverser de la poudre colorée, rouge, rose, orange, jaune, etc. C’est selon. Quand la couleur est stabilisée dans tout le réseau d’eau, redescendre la rivière et repasser dans tous les canaux avec une caméra 360°. On publie les images en ligne. (J’ai une préférence pour le rose.)

Place de la République, l’été, le temps d’une ou deux soirées, il y a en général un spectacle en son et lumière consistant à diffuser des images animées et colorées sur un pan de façades transformées en château (par exemple). On pourrait diffuser sur ces mêmes façades l’image même de ces façades, nuit et jour, en continu, après avoir bouché toutes les portes et fenêtres.

Dans les sept hectares des carrières souterraines d’Heurtebise, qui a installé un dispositif sonore et visuel reconstituant les explosions gigantesques et en série du dépôt de munitions de la Kreiskommandantur ? Les descendants de Pierre Ruibet et Claude Gatineau, les jeunes résistants à l’origine de l’acte en 1944, sont actuellement interrogés. Mais deux hommes se faisant passer pour eux seraient également recherchés. Les Sauveterrien·nes, loin d’être choqués, voient là une occasion d’honorer la mémoire des résistants locaux durant trois jours. Certains vont même jusqu’à imaginer comment on pourrait organiser un festival de Death Métal.

Détourner le Chemin de Ronde. Soit le prolonger par la ruelle qui en fait à l’origine partie mais n’a pas été réhabilitée, parce qu’il s’agit d’une voie sans issue : on aura soin de nettoyer cette ruelle, les murs et les murets, et surtout d’ouvrir le dernier muret menant dans un jardin privé où l’on perd la trace du chemin mais où un escalier monte dans un appartement ; on installera aussi d’autres ouvertures dans les murets séparant les jardins, de façon à créer un labyrinthe passant par de nombreux appartements. (Mystera, dans la ville voisine de Sauveterre, avec son labyrinthe forestier, n’a qu’à bien se tenir !) Soit détruire l’escalier permettant de remonter en ville et ouvrir l’espèce de trappe qui s’enfonce sous les immeubles, dans un sous-sol, une cave peut-être, voire un souterrain, un réseau de galeries dans la colline. (Une caméra de surveillance permettra de savoir qui osera s’aventurer.)

Rallye des Ronds-Points — Il aura fallu toute la carrière politique de M. B pour refermer la ceinture de délestage, et sa dizaine de ronds-points, autour de Sauveterre. Pour fêter l’événement, on organisera prochainement une série de courses de relais d’un rond-point à l’autre (courses de tous types, voitures, vélos, trottinettes, skate-boards, caisses à savon, chars à voile, en courant ou en marchant, etc. moyennant qu’on s’aide seulement des énergies renouvelables ou naturelles : surtout pas de carburant et de moteur à explosion !). Et sur chaque rond-point, une course en sac qui en fait le tour. D’ores et déjà, un concours est ouvert afin de baptiser chaque rond-point d’un nom qui sera retenu par vote électronique sur le site du rallye.ronds-points.svt ou l’application

Au milieu de la Place de la République se trouve une statue féminine maintenant de la main droite des tables de la Loi aussi longues que la jambe, élevant de la main gauche un flambeau (toute ressemblance avec la statue de la Liberté n’étant certainement pas de pure coïncidence). Comme il n’y a pas de fontaine digne de ce nom à Sauveterre, on fera sortir du flambeau un jet d’eau qui arrosera toute la place. On rebaptisera la place pour l’occasion : Grand Font de la Démocratie — on ne pense pas assez à la démocratie ; seul le village de Thénac dans la région, à une ou deux lieues de Sauveterre, lui a dédié une rue.

Finir de couvrir totalement la petite rue entre les immeubles — celle qui a l’air de s’enfoncer doucement sous la ville à mesure qu’on monte au château —, suivant le même mode de construction des passages souterrains arqués, en pierres de taille. Installer seulement quelques spots lumineux au sol. La rue, rebaptisée par les Sauveterriens le Couloir, reste obscure, mais chaque pas allume un spot juste devant ou derrière soit, et l’éteint. L’été, à la fin du marché nocturne le vendredi, on organise des courses de rapidité pour traverser la rue, dont une épreuve sans toucher les parois (personne n’y est encore parvenu), et un concours pour celui qui allumera le moins de spots possible.

Au château, où l’on ravale la façade et refait le toit, on a appliqué une couche de vernis spécifique sur chaque tube de la structure de l’échafaudage géant et une autre sur les filets de protection qui masquent l’entrée du château. Quand la nuit tombe, un projecteur de lumière noire fait peu à peu ressortir la peau et les os de la structure. Le plus surprenant, c’est lorsque quelque chose sur les façades alentour réagit aussi.

Sur le parvis de l’église de Sauveterre, on a marqué au sol les anciennes tombes à l’aide de plaques et de barres d’acier Corten peu à peu patiné de rouille avec le temps. On pourrait peindre chaque tombe de différentes couleurs, par zones : au plus près de l’entrée de l’église, les tombes de couleurs primaires ; à quelques mètres, l’éventail des tombes de couleurs secondaires ; plus loin et dispersées, les tombes tertiaires en jaune vert, rouge orangé, bleu violet, jaune orangé, rouge violet, bleu vert. Le sol du parvis resterait du ton des pavés blanc écru. On organiserait pour les fêtes des écoles (sur réservation) une marelle géante pour petits et grands : en partant de l’une des trois entrées de l’église (certains feraient immanquablement la course) ; en lançant un morceau de pavé de tombe en tombe ; et en essayant de rejoindre le ciel de la ville au-delà de la ceinture des tombes tertiaires — en faisant attention de ne pas tomber dans l’escalier d’un côté ni, de l’autre, se faire renverser par un véhicule en sautant par-dessus le garde-corps.

Il y a, quelque part dans Sauveterre, une rue sans issue, fermée au bout par un portail. À chaque nouvel arrivant on donne une photo de ce portail. Pour obtenir la « nationalité » de la ville (comme on dit ici), les futurs Sauveterriens doivent : 1) trouver la rue et le portail, chose assez simple dans cette petite ville où les impasses ne sont pas nombreuses ; 2) indiquer l’adresse précise du lieu, chose plus difficile qu’il n’y paraît, le portail ne donnant sur rien d’autre qu’une zone où la nature reprend ses droits ; 3) retrouver la clef permettant d’ouvrir le portail « national », et c’est là que les choses se gâtent parce que : a) le portail ne possède pas vraiment de serrure, mais un trou assez grossier dont on voit assez mal ce qui pourrait y loger ; b) depuis des années et des années où je vis à Sauveterre, je cherche encore personnellement cette clef, et nous serions nombreux à le faire — le bruit court même qu’à Sauveterre, la ville seule serait sa propre et unique citoyenne…

Figure 51 – Dans les carrières d’Heurtebise, les joueurs de pétanque installés dans la partie ouest depuis longtemps pour pouvoir jouer toute l’année, manifestent contre le projet de festival Death Métal en laissant allumer la lumière et en isolant les murs contre le bruit infernal – © Crédit photo : Fanny Blanchard pour Sud Ouest, « En images. Charente-Maritime, à la découverte des carrières d’Heurtebise » – publié le 07-08-2020

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).

4 commentaires à propos de “#40 jours # 21 | Portail national”

  1. Impressionnante galerie de protocoles, tous plus inventifs les uns que les autres.
    Merci Will !

    • Merci Fil. Je redoutais un peu l’exercice, mais je me suis bien amusé au final. (Contrairement au 22, plus coriace…)

  2. Et bien, merci Will. Je fais très en retard le 18 08 22 ce # 21. Mais vous êtes une source d’inspiration incroyable! Chapeau.

    • Oui, mais je suis très en retard… Je ne parviens pas à trouver le rythme d’un jour un texte, ou alors pas fini. Il me faut deux à trois jours, pour un texte trop long. Je me laisse emporter par mon imagination, et la ville, et les souvenirs, et… — Bravo Simone, plus qu’un texte ! Moi, j’ai encore toute une semaine… Les vôtres pourront me servir d’appui. — Merci.