Le rayon de soleil sur le plafond ce matin a un étrange reflet roux. Les enfants dorment encore. Je n’ai pas la force de me lever pour chercher l’appareil que j’ai laissé sur le bureau dans la pièce à côté.
L’homme au cheveux gris que je croise au musée qui photographie le tableau puis la petite pancarte qui indique le nom de l’œuvre. Il erre de salle en salle comme un cyclope dont la rétine est l’écran de son smartphone. Je n’ose l’aborder,pourtant une question me brûle les lèvres: que faites vous de ces photos? Des affiches grand format pour décorer votre salon ou les gardez vous pour faire des séances de visionnage sur rétroprojecteur lors des réunions de famille?
L’observer me rend immensément triste.
Le chat en équilibre instable qui chasse un moineau sur le muret du potager. Le temps que j’aille chercher mon appareil et revienne en courant, l’oiseau est déjà loin et le chat a écrasé deux plants de tomate. Il fait sa toilette l’air placide de celui qui n’a rien à se reprocher.
La toile d’araignée couverte de givre qui l’habille d’une fine dentelle alors que je traverse le petit parc avant d’arriver sur le boulevard. Je ne pensais pas trouver un tel trésor en me rendant au travail et n’ai pas pris mon appareil photo. Je tente quelques clichés avec mon smartphone. Le résultat me déçoit. Je les supprime. Cette après midi le soleil aura fait disparaitre le givre.
L’homme qui fait la manche devant Monoprix. Il tient son chat en laisse sur ses genoux. Je trouve le chat amusant. Je n’ose pas lui demander l’autorisation de le photographier. J’ai peur sans trop savoir pourquoi qu’il prenne ma demande pour une offense. Le prix déraisonnable de mon appareil photo lui permettrait de manger pendant un an. Lui et son chat.
Le regard de ma fille lorsque je la récupère à la sortie de l’école. Je pourrais varier le cadrage, l’angle de prise de vue , la luminosité, les couleurs. Je m’avoue vaincue avant d’avoir essayé: je n’arriverai jamais à en capturer l’émotion
Présence en creux. Présence totale.
Oui comme une envie d’école buissonnière ce matin. Tout ce qui sort du protocole est il bon à jeter? N’y a t’il pas une attention particulière à donner à tous ce qui finalement sort de la ligne fixée. Moins prosaïquement c’est une véritable question en littérature médicale: je suis convaincue que le médoc A marche sur la maladie X. L’étude que je mène montre que ça ne marche pas: je ne la publie pas et même si je souhaite la publier on me répond qu’on ne va pas remplir les revues médicales avec tout ce qui n’a pas marché . Et pourtant dire que le médicament A ne marche pas à tout autant de poids que de dire qu’il marche…D’où un biais de publication des études
Très belle idée ! Et vous les avez faites ces photos, tout compte fait. Merci de les avoir partagées !
Merci Helena, non l’occasion de les faire est belle et bien perdue. N’est ce pas cela qui leur confère une partie de leur valeur? D’où l’envie de les immortaliser par des mots. Il faut bien avouer que j’ai été un peu aidé par un livre feuilleté au musée de la photographie il y’a déjà quelques mois dont je n’ai plus les références qui s’intitulait: les photos que je ne ferai jamais. L’auteur y avait fait des croquis avec une légende explicative. J’avais trouvé ça génial et depuis je griffonne aussi quelques photos non prises quand l’envie s’en fait sentir. Croquis, récit ou enregistrement vocal, l’idée se prête à tous les exercices…
le type qui fait des photos des toiles et des cartels en fait collection – il y a pas mal de gens de ce genre : il y en a d’autres qui restent là, devant cette toile-là, et qui l’observent et qui l’observent et qui l’observent – j’ai travaillé longtemps au musée mais il était sans collection – non, mais une image n’est jamais perdue (merci de les faire apparaître)
Je comprends la pulsion du collectionneur. Ce qui m’attriste c’est qu’il ne voit tout cela qu’à travers le filtre déformant de son téléphone…
Oh merci Geraldine. Vous me donnez des ailles. Je me demandais ce matin si partir sur la difficulté qu’il y avait à soutenir le regard d’un lézard qui prend le soleil était une bonne idée. Je sais à présent que vous avez raison : ce n’est pas sur la route tracée, mais dans les buissons qui la bordent que les fruits se trouvent. Merci, merci, merci
Ai je besoin Ugo de te prendre la main pour te montrer le chemin de l’école buissonnière? Il me semble que tu te défend assez bien en la matière. Mais ravie de m’installer au fond près du radiateur avec toi !
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le cœur
Il dit oui à ce qu’il aime
Il dit non au professeur
Par contre pour ce qui est du lézard.. je te laisse à ton affaire….😋
Délice de l’idée du protocole, délice de lire les commentaires et les réponses, délice du texte. Merci Géraldine. La suppression du cliché sur le smartphone et le soleil qui aura fait disparaître le givre, la juxtaposition des deux dans le texte, l’art de l’éphémère. Ce que vous en avez fait.