Attendre sans trop savoir. Que les heures passent, que s’arrête la pluie, que vienne l’envie de s’en aller, ou qu’il fasse moins chaud, ici au moins c’est climatisé. On se tient dans un temps suspendu, à faire ce qu’il faut : saisir ce qui se dérobe, jardiner les germes de l’imaginaire . Arpentant la mezzanine de la bibliothèque qui fait le tour des lieux avec une vue plongeante sur qui se meut en dessous. Aux aguets de ces riens qui nourrissent les songes. Percevoir les lumières, ou les ombres, des uns ou des autres. Ces deux enfants qui se cachent entre les rayonnages, avec astuce , sans trop de bruit, et qui jouent à se chercher. L’employé chargé de la sécurité ne les a pas encore repérés, ou alors laisse faire tant qu’ils ne gênent personne. L’homme aux cheveux blancs, la casquette posée sur la table près de lui, ne fait même pas semblant de lire, il a le regard qui porte loin et l’on se demande dans quel songe il a bien pu se perdre. Une jeune femme dans une jupe à fleurs, longue comme dans les années soixante-dix, debout devant l’étagère des livres de philo, un peu perdue, penchant un peu la tête sur le côté pour rechercher le nom de l’auteur ou du titre qu’elle cherche, sort un livre du rayon, lit la quatrième de couverture, repose le livre, poursuit sa recherche , sort un autre livre plus épais, parcourt quelques pages et le range dans un sac en jute avant de partir à la recherche d’un autre ouvrage. Un groupe de femmes, guidé par un membre du personnel de la médiathèque et un interprète, découvre les différents endroits du lieu afin d’en comprendre le classement. Deux jeunes gens, assis à une table un peu en retrait, derrière des étagères, penchés sur des ouvrages, écrivent, préparent un exposé peut-être, le tout dans le silence. Poursuivre sa déambulation, jetant un regard de temps à autre sur l’exposition sensée intéresser. Agripper son regard à l’employée un peu cachée par son bureau, qui espère sans doute ne pas être dérangée pendant quelques minutes, baille un peu, dépose ses lunettes près de l’ordinateur, peut-être ferme-t-elle les yeux quelques instants, elle est à la croisée d’un dedans et d’un dehors dont elle n’a pas toute la maîtrise, et là pour un instant se nourrit de l’informe. Un peu de brouhaha vers l’entrée, c’est un groupe d’ados qui ont gardé le parler du dehors et, sous les regards réprobateurs des bibliothécaires de l’accueil, écrasent soudain les mots entre leurs lèvres. Le regard se porte alors sur l’à quoi bon du dehors, rester dans cette hésitation, s’emparer de son regard de myope, se nourrir à son tour de l’informe, se contenter de taches sombres ou claires à peine mouvantes, traverser ce temps de l’indécision, capter les contours de ce voile cotonneux, où l’on ne pourra dire que des peut-être ou des sans doute quand rien ne commence ou ne finit. Abandonner son poste d’observation, faire le choix du retour, enregistrer son lot de livres déjà choisis et servir de proie à cet homme qui vient de grimper là-haut sur la mezzanine.