Elle aurait voulu qu’il s’en sorte, qu’il revienne d’Allemagne, d’une ville qu’elle ne savait même pas situer sur la carte, elle n’a reçu qu’une carte postale de guerre pré remplie, puis une lettre de lui sur laquelle elle a pleuré des jours et des jours, il lui demandait des pulls, de la pâte de coings et de ne pas abimer son appareil photo. Il avait photographié sa fiancée avant d’être raflé pour le STO en tenue de travail, il allait se marier, elle s’appelait Aimée. Il était menuisier ébéniste. Il s’appelait André. Né en 21, mauvaise pioche.Elle avait attendu à la Gare de Brotteaux avec sa cousine et le père avertis in extremis par le patron au moment du transfert par les policiers français à la solde des nazis.En 1944 ils étaient de plus en plus nerveux , de plus en plus violents avec les civils. Ils traquaient les résistants et empêchaient le ralliement des jeunes prêts à partir pour Londres ou le maquis, il aurait été dénoncé par son copain de co-loc… Mauvaise pioche…C’était un gars vigoureux et volontaire apprécié de son patron lequel l’attendait lui aussi. Il n’a jamais douté qu’il doive revenir après la guerre. Il l’avait écrit à la famille qu’il le reprendrait , oui, il l’attendait… André attendait l’occasion de s’évader de l’usine où il était assigné, deux tentatives selon les archives; la deuxième lui fut funeste… Elle attendait toujours son frère..;N’en parlait jamais au père pour ne pas l’attrister… Elle croyait toujours qu’il allait rappliquer simplement, dans un halo de lumière, franchissant l’encadrement de la porte dans la maison du père, près des vignes….Elle attendait des nouvelles… Elle n’en avait plus depuis plus d’une année… Elle haïssait les soldats et la police, serrait les dents de rage à chaque passage, redoutait les bruits de bottes en ville et les embardées ostentatoires des sinistres voitures noires… Peu après la mort de son enfant à trois mois, né d’un viol, elle a dû s’enfuir à Paris… se cacher après un contrôle où elle avait été arrogante…Elle était « remontée » à cette époque comme elle le disait avec colère. L’attente fut encore plus difficile… Au retour, à la libération elle alla poser des questions aux organismes militaires pour avoir des nouvelles… On lui a dit d’attendre encore que les prisonniers soient rapatriés … Elle ne sut qu’en Juin 46 qu’André avait été déporté à Dachau, qu’il était probablement mort du Typhus juste avant son rapatriement . Des courriers officiels finirent par arriver..Il a fallu faire une réclamation pour que soit mentionné « mort pour la France »; Un curé avait envoyé un courrier dactylographié au contenu mal personnalisé, déporté volontaire, il aurait connu André et lui aurait fermé les yeux… Vérité ou légende. Le corps ne fut jamais rapatrié. Frère unique..profondément aimé… Ah, ça oui , elle l’avait attendu !
Il n’est pas possible d’écrire une fiction avec cette histoire , même pour faire plaisir à Beckett qui d’ailleurs avait tout compris de la détresse humaine et de l’absurdité de l’existence en général. Peut-être n’en attendait-il RIEN ! Ceux qui « grimpent » pour sortir de l’enfer , ont choisi de survivre et de transmettre…Ielles le font à l’échelle de leurs forces et de leur courage…
La dernière peinture est ahurissante… Je vais me renseigner sur l’artiste.
Après avoir lu 2x votre texte, je me rends compte à quel point il me serait désormais impossible de concevoir le texte sans les illustrations, et vice-versa…
Bravo pour la puissance !
Merci pour votre appréciation. Winfried VEIT est un ami allemand dont je suis très proche. Je peux vous en parler en off si vous voulez.
Merci pour la profondeur de ce texte, le déchirement de cette histoire et cette attente, terrible cette attente. On aimerait tant qu’il revienne… Merci.
C’est une histoire qui n’est pas anecdotique et qui s’est reproduite à des millions d’exemplaires dans les familles impactées par le nazisme, et la guerre qui continue , qui continue … La profondeur vient de là, de cette attente interminable des retours et de la paix.