Un rythme fiévreux, endiablé. Deux mecs aux percussions, batterie, caisse claire, bongo. Mais surtout, le dieu Shabaka au saxophone, de tous les instants, sortant des sons inouïs de son instrument, étranges, inhumains. Comme si le sax réunissait à lui seul une pléthore d’harmonies sonores possibles. Et pour accompagner le tout, comme un tapis de velours, un imposant tuba, vrombissant, servant de basse, de sous-rythmique, couche indispensable pour répondre au divin saxophone, intouchable. Le concert, presque sans paroles (hormis deux morceaux rappés, en protest song, I wanna take my country forward), m’aura emmené dans un autre monde. Le temps se sera figé, Bruxelles aura disparu ; ma tête, mon esprit, mes pensées, mon corps auront voyagé. Très loin. Jusqu’à l’inconnu, l’infini et au-delà. Je pensais ne pas pouvoir rentrer, je ne voulais pas rentrer. Le lendemain, tâches administratives abrutissantes et violemment terre-à-terre. Cette bulle enchantée, d’un jazz mordant, méchant, aura vaincu la monotonie de la vi(ll)e. Deux heures de feu. Un sursis.
Le trajet de retour commence par la sortie de la salle, forcément. Et c’est comme un coup de poing. La foule de spectateurs qui remue d’un bloc dans la même direction, les réverbères allumés dans la rue, les passants innocents de ce qui vient de se jouer ici même, à peine à quelques mètres d’eux, un sans-abri assis par terre qui demande 50 cents… Le commun de la ville, en somme. Puis le métro et sa banalité crasse. Heureusement, peu de monde, peu de bruit, donc l’opportunité de vibrer encore en soi, de ne pas oublier, de prolonger les sensations corporelles, le rythme, le tambour dans mon cœur. Une fois foulée l’avenue qui monte vers mon appartement, j’enfile mon gilet à capuche, sans mettre les manches, je tape du pied, je danse avec les cordons du capuchon, je tournoie avec ma tenue de scène, et je vole. Puis la façade reconnaissable, la porte ouverte, le hall d’entrée, la volée d’escaliers, mon chat qui m’accueille, la lampe à allumer, le regard qui se tourne vers la gauche – tout enlever de mes poches, tout retirer de mon corps, me mettre nu – puis vers la droite, la cuisine, et me désaltérer le gosier. La meilleure compensation post-concert : boire de l’eau du robinet quand on a la gorge asséchée de n’avoir rien bu depuis longtemps, 2 verres plein, cul sec, et jouir. Avant de redescendre.
Un zoom arrière réussi, la symétrie des deux paragraphes est étonnante et bien trouvée à première vue.
cependant je ne sais pas si la symétrie est bonne en littérature, en peinture elle bloque souvent une énergie en peinture, elle crée une sorte d’immobilité… Sans doute pour cette raison que la peinture religieuse utilise beaucoup la symétrie, pour inspirer une notion de temps immuable… Est-ce une piste intéressante de les rendre asymétriques, je ne sais pas. Mais ça me donne des idées
Super rythme et zoom arrière! On sent les vibrations des basses se déplacer sur le retour, sur le corps de celui qui marche, monte les escaliers… Comme un sursis, dernier mot du premier paragraphe. On sent cette urgence, la respiration de ce moment qui inonde le retour. Bravo.
Merci à vous deux pour ces commentaires instructifs : je n’avais pas réfléchi (du moins consciemment) à la symétrie entre les 2 paragraphes ! Quel enrichissement de se relire à la lumière de vos avis !