Le chemin de retour est chargé de souvenirs. Parfois ce sont des propos anodins qui s’incrustent comme une rengaine agaçante dans la mémoire « Tiens, regarde, les jours rallongent », avait-on dit, en observant la lumière de janvier s’attardant sur les branches des arbres du bord de la route. On se souvient de l’intonation joyeuse avec laquelle elle avait été prononcée et on préférerait ne pas l’entendre encore et sans cesse, puisque les mots ne sont là que pour nous meurtrir. Ce chemin de retour mille fois parcouru nous fait regarder autrement le grand édifice aux blocs de pierre donnant sur la cour carrée où, tous les matins, des êtres menus au képi marron et vert faisaient leur première parade du jour, alignés, graves et sérieux comme seule l’enfance sait l’être. On les voit encore aujourd’hui, arrêtés au feu rouge, attendant sagement qu’il passe au vert pour pouvoir traverser. Mais c’est le souvenir de cet autre temps qui revient en flèche, le voyage en train vers l’école de banlieue remplie de cris et de grands sauts fragiles dans les flaques de boue. Si par hasard notre regard retombe sur la grande demeure teintée de rose dont les jardins sont remplis de symboles, c’est vers cette autre demeure que le souvenir s’illumine, celle où personne n’était encore mort, où avaient lieu les grandes fêtes arrosées de musique. On pense à celui qui y était invité, enveloppé dans son grand habit noir, insouciant et léger dans ses notes habiles. Le chemin du retour garde en lui la mémoire d’un jour particulier, de stupeur et d’incrédulité, juste au tournant de cette route où étaient prêtes à être érigées deux tours en béton identiques. Elles sont aujourd’hui devenues dérisoires car la stupeur et l’incrédulité ponctuent d’angoisse la marche du monde. Deux repères à peine sur ce chemin vers la douteuse sécurité d’un lieu familier sont ancrés dans le présent : un arbre solitaire au croisement des routes et la maison minuscule contre l’arrogance des palais de verre.
Bonsiur Helena,
je m’endormirai avec ce nostalgique retour, archétype de presque tout ce que retour veut dire, et puisque tu y condenses tous les passés, tes mots ont le blues, résultat ? le texte est (paradoxalement) bourré de vie !
C’est très bien vu, parce que le présent est si angoissant qu’il ne peut pas rivaliser avec le passé le plus nostalgique. « les mots ont le blues », c’est très beau ! Merci, Catherine !
mais comment faites vous pour faire si court … il y a une consigne que je n’ai pas lue , un nombre de mots ? ( blague)
quand on arrive à la « douteuse sécurité d’un lieu familier », quelque chose s’ouvre soudain d’inattendu malgré l’arbre et la maison symboles du pas vraiment rigolo tout de suite, on s’envole au delà.
sans doute parce que cette sécurité cette sécurité là on en a fait le deuil
C’est tout à fait cela, Patrick!
Je n’arrive pas à écrire long, sauf en quelques cas. De plus les decriptions et moi, on ne peut pas dire que cela soit une histoire d’amour. Merci de votre commentaire attentif !
touchée Héléna et merci pour l’image de l’arbre qui a fait ressurgir le vieux cèdre de Yanaka
Ah, oui, quelque chose d’invraisemblable ! Merci, Caroline ! Tu nous rejoins ? 🙂
Grande grande émotion. Héléna Merci.
Merci, Nathalie. Contente que cela t’ai plu et merci pour ton soutien. Comme disait Romain hier au zoom, cela chauffe le coeur !
magnifique
Oh, merci Piero !
je reviens après lecture vers ta demeure, « celle où personne n’était encore mort », car les choses se passent sûrement par là
plusieurs lieux, plusieurs retours
mais que devient le lieu apparenté à un « chez soi » dans la perte de celui, de celle ou de ceux qui l’ont constitué et habité avec nous ?
merci Helena de ce voyage…
Oui, Françoise, et comment peut-on considérer ce chez-soi comme un port d’abri, si on peut le perdre à tout moment, s’il n’est jamais le même. Je l’ai appelé lieu familier, quelque chose de vague, justement pour cela. L’écriture nous démasque. Merci de ta réflexion qui m’a elle-même aidé à réfléchir !