N’oublie pas que tu t’es perdu pour arriver ici.
Le chemin a été long. J’ai reconnu la longue ligne droite et, sur plusieurs mètres, le grand mur en pierre qui encercle la maison. On a tourné à gauche et le portail blanc a surgi. La maison est apparue derrière, la végétation était métamorphosée. Je ne sais pas si c’est toujours la maison de vacances de mon enfance. On est au même endroit et pourtant je ne pourrais pas l’affirmer.
Non, c’est une autre terre, encore un détour ! Allez, tu me fais marcher, hein, pas vrai, en me disant cela, tu t’amuses, tu veux m’embrouiller l’esprit ? Oh ! dis-le-moi, je t’en supplie : c’est vrai, je suis arrivé chez moi, dans ma patrie ?
D’abord, on ne peut pas y croire. On attend que le réel vienne se conformer à l’image que l’on garde en mémoire. On veut faire glisser le calque au centimètre près. On se dit que les pierres ont changé de couleur, que les tuiles ont bougé, que les ouvertures ont été modifiées. Je suis suspendue au garde-fou de la fenêtre. J’hésite à pousser la porte en fer forgé qui conduit vers la cave. Je suis assise sur les marches devant le billard, j’attends les autres. Ils arrivent, on est en 1990.
Tu connais le port de Phorkys, tu sais, le vieillard de la mer ? Eh bien, c’est ici. Tu te rappelles, à la tête du port, cet olivier touffu ? Eh bien, le voici ! Et, tu as là, juste à côté de lui, la grotte si agréable, si ombragée, tu sais le sanctuaire des Nymphes, des Naïades, comme on dit. Souviens-toi, c’est ta caverne, c’est ton ombre. Ici, combien de fois tu leur en as offert, des hécatombes, aux Nymphes, rien à dire ! Et là, devant toi, la montagne couverte de bois, eh bien, c’est le Nérite !
C’est le pays de l’enfance. Je me souviens de la maison de la sorcière, la vieille baraque abandonnée qui tombait en ruine, la porte délabrée et le plafond effondré. On est loin de la ville. C’est la terre nourricière, la terre des merveilles. Le jardin à l’arrière est bordé de groseillers. Je vois le grand sapin, notre abri de fortune, à l’écart des regards des adultes. J’entends le bruit des tracteurs. On est si loin de la ville ! On est autorisé à rouler seuls sur les sentiers, à courir tête au vent au milieu des champs de maïs, à escalader les pruniers. On est loin de la ville et je me suis absentée si longtemps. J’ai accepté l’exil, je me suis perdue pour arriver jusqu’ici, j’en ai fait des détours ! Aujourd’hui, je reviens sur mes pas, je traverse l’espace pour rejoindre le temps.
Je me suis réjouie devotre voyage en enfance. Merci
Merci Danielle !