Déjà tôt ce matin, chambre d’hôtel 414, avec vue sur la gare de Saint Charles, le soleil dansait sur l’ocre des bâtiments et la voix dans le haut parleur m’indiquait les premiers départs. La valise bouclée sur une année d’allers-retours Paris Marseille, j’ai pris une dernière photo du haut du grand escalier plongeant dans la ville grouillante et déjà chaude à cette heure. Longs regards vers la dame de la bonne garde et le ciel bleu. Images de la veille, soirée de clôture d’une année universitaire, entre soutenances-performances, embrassades, verres et danses partagées. Images de la veille et fatigue emmêlées, promesses de se retrouver mais seul le temps va nous le prouver. Images déjà anciennes et la sensation peut-être encore que rien n’a changé et que tout va continuer. Derniers pas sur l’esplanade, entrée en gare, regard sur les départs et voie H, toujours la voie H en direction de Paris, H comme horizon ? Voiture 18 place 82, j’ai beaucoup voyagé à cette place au point de me demander si quelque part quelqu’un derrière son ordinateur la choisissait pour moi. Sièges bleus et gris, petites tablettes, grandes fenêtres et déjà des masques qui reviennent sur les visages. La voix du conducteur, les dames de la propreté, écrans allumés, casques dans les oreilles, valise rangée, tout est en ordre, tout est bien rangé. Dehors, le paysage défile, la mer s’éloigne déjà, les montagnes ne bougent pas, la campagne et les villages. Déjà les premiers nuages cachent le soleil mais en moi, rien n’est encore effacé. Tout ce que j’ai vécu et tout ce que je n’ai pas fait. Chez moi, je rentre chez moi. Sensation de connu et d’inconnu à la fois, car pourquoi l’ordinaire serait sans rêves, ni surprises ? Craquements de la bouche de mon voisin mangeant ses petits bâtonnets en boite plongés dans du Nutella, rires et chuchotements, de parts et d’autres du wagon. Vingt minutes de queue au bar pour m’entendre dire qu’il n’y avait plus de café crème. Le petit chien à quelques sièges de moi ne dit rien, stoïque. Mon voisin parle tout seul à son ordinateur, peut-être aimerait il échanger ? Les mots Laissez-vous rêver inscrits en blanc sur une fenêtre ne cesse de me laisser perplexe. Dernier retour Marseille Paris, trente cinq en une année, ma carte de grand voyageur reçue il y a quelques jours, m’aura aidé à les terminer, va t’elle encore servir durant cette année ? Les plaines horizontales éloignent les montagnes, déjà des maisons et quelques pavillons. Va et vient de femmes et d’hommes, sièges, toilettes, bar, téléphones sur les plateformes. Café, coca, eau, chips, sandwichs aussi, on se rapproche de midi. Chez moi, je mangerai chez moi sur la table ronde à raconter ces dernières journées. Tapotements des doigts sur les touches, journaux dépliés, hommes en costumes et jeunes gens, habillés, maquillés, fatigués, dormant les uns sur les autres comme pour une nuit inachevée. Déjà, les nuages sont moins blancs, quelques teintes de gris. Une église, des champs, des vaches, où suis-je ? Je ne sais pas. L’hier me traverse encore. On se reverra ? Oui, on se reverra. On pourrait se faire des zooms ? Oui, on se pourrait. On ne s’oublie pas ? Non on ne s’oublie pas. Si je viens à Paris, je te le dis, d’accord ? Oui, super et moi pareil si je reviens à Marseille. On s’est pris à bras le corps, on s’est serrés très fort. Trois heures trente aller trois heures trente retour sept heures par semaine dans ce train. Temps suspendu entre deux villes le plus souvent passé à écrire. Déjà, les premières autoroutes, les premières bifurcations, les premières voitures, le paysage vert qui s’éteint. Déjà, les premières banlieues, les premiers trottoirs, les premiers bétons, et mon sourire qui revient. Déjà, la gare qui se dessine, et la forêt pas loin. Déjà, la mer, les vagues et l’écume emporte mes souvenirs et bientôt, je te tiendrai la main.
Bravo pour ce texte qui évoque la fin d’une « année », avec des regrets, et ce retour qui vient les adoucir.
Merci Laurent pour ta lecture, à bientôt.
des pages tournent, on avance dans le temps, dans le livre
on t’accompagne dans ce retour
on pèse tout ce que tu laisses en arrière et aussi ce que tu vas retrouver
Merci Françoise d’être venue voir, à bientôt.