Magda avait un pied à terre et l’autre sur le bord de la bite en ciment sur laquelle elle était assise au coin de la rue André Antoine, pas loin de la place Pigalle. Elle portait une mini jupe usée et un haut de juste au corps à large décolleté. Son visage était colorié plus que maquillé et elle avait une grande perruque blonde qu’elle ajustait souvent. L’index passé dans l’anneau d’un trousseau de clés, elle vous rattrapait, faisait quelques pas avec vous, vous promettait du très bon temps en collant sa poitrine contre votre épaule ou sous votre menton. Puis souvent, elle retournait à sa place, disait puceau ou autre chose, nous riions. Si le banquier vous refusait cent balles, elle vous invitait, repoussait les godes sur le lit et vous ramenait une casserole de couscous.
Elle s’est levée de très bonne heure, cela ne la gêne plus, la veille encore, à vingt et une heures trente, il n’y avait plus personne. Dans quelques minutes, elle enfilera sa blouse de travail portant le nom de son entreprise dans le dos et ses gants en caoutchouc jaune. Elle prendra son seau et ses chiffons et sa journée consistera à désinfecter tout ce que les usagers peuvent toucher. Elle fera une pause à l’heure du déjeuner. Les gens autour ne semblent pas la voir. De temps en temps, on lui sourit et parfois on lui dit merci. Le chiffre en bas de sa fiche de paie est une honte, mais elle a du travail et la petite se prépare à un meilleur métier.
À huit heures trente, elle est au bureau non loin de la tour Montparnasse. Elle allume son ordinateur, y entre son mot de passe, et c’est parti, une journée de saisie. Des chiffres et des lettres. Plus elle en saisit et plus il y en a, des ronds, des barres, des qui se croisent. À midi, elle prendra de quoi déjeuner avec ses tickets restaurant puis elle reviendra et continuera à saisir des chiffres et des lettres, de plus en plus qui se croiseront. À dix-sept heures quarante-cinq, elle éteindra l’ordinateur, tentera d’attraper le train de dix-huit heures vingt-quatre et sera chez elle aux alentours de vingt heures. Vers vingt-deux heures, elle sera couchée, fera quelques mots fléchés avant d’éteindre la lumière. Dimanche prochain elle votera.
Merci Romain pour ces trois femmes mises à l’honneur