Je rêve d’écrire à Saint-Pierre-et-Miquelon. Je ne sais pas, pour la douleur, ce qu’elle révèle du paysage et des mers agitées. La souffrance des pêcheurs, la vie dure et froide. Mes souvenirs d’enfance battus par les vents du Finistère. Les Ferry géants quittent la côté déchirée sous la pluie torrentielle. Je rêve d’y écrire la nuit, quand les tempêtes battent leur plein, qu’il y fait ce froid particulièrement dense et hostile, et quand au matin, tout est délavé, frais, lumineux, comme les plaines d’Angleterre, un mystère de Stonehenge, avec ma sœur on en rêvait à deux, de pouvoir s’échapper là-bas, au bord de l’Arctique, avec des relents majeurs de souffles glaciaires, où se frottent parfois des chaleurs venues de New-York, de Québec en plein été. La vie circule en extérieur, sur les routes et les cabanes, les animaux géants comme des phoques et des élans viennent brouter près des habitations, les baies sauvages dans les cheveux, pour écrire en rouge et noir, pour écrire le sel et les mouettes frigorifiées, audacieuses. Pour écrire la Terre-Neuve où l’on ne va jamais, le courant du Labrador qui baigne les côtes de l’archipel, les embarcations chahutées dans les petits ports, les rêves d’insoumission, les petites écoles primaires, et surtout l’accent – l’accent des marais salants, l’accent des rivières brutes, des chanteurs de bal et de contrebasses. Saint-Pierre, c’était notre Orient à toutes les deux, une récréation d’âme où la lumière flashe sur les rochers, une lumière qui donne envie de danser tous les jours dans les fêtes de village. Ma soeur-couleurs, ma sœur partie, ma sœur ensevelie. J’aurais dû disperser tes cendres là-bas. A Saint-Pierre. Regret .
Merci Françoise pour ces rêves et ce regret qui me parlent. Je n’ai pas écrit dans cet archipel. J’y ai travaillé, appris à boire et à danser. J’en ai ramené par contre beaucoup de matières retrouvées plus tard en tentant d’écrire, en particulier sur l’affaire Neel. Mais sans le talent hélas d’Eugene Nicole et de son Œuvre des mers.
https://www.etonnants-voyageurs.com/NICOLE-Eugene.html
Merci pour le conseil Ugo, je note et rajoute à ma pile d’envies de lecture.
Ce texte m’a émue et emportée Françoise. Merci.
C’est très touchant. et puis revenant de Méditerranée. où j’ai trouvé qu’il était dur d’écrire quand la mer délicieuse et les couleurs et tout vous appellent. j’adhère complètement à ce rêve peut-être parce que l’écriture est pour nous un refuge, il faut qu’il fasse un peu froid sinon à quoi bon ? autant vivre! Merci
Quelle richesse et quelle chaleur dans ce texte, face à la douleur et aux éléments !