Peu d’expériences d’écrire dans la ville autre part que devant le grand écran de l’ordi. Cette fois-là, restée vive à la mémoire peut-être parce que pas nombreux ces moments. Cet été-là, décidé de prélever des blocs au réel. Écrire sur le motif donc. Pour soi, une expérience de la ville plus périurbaine qu’urbaine. Écrire in situ donc depuis la périphérie de ma ville. Ce créneau réservé à la première heure pour une révision/vidange. À côté de la concession automobile, un hypermarché et sa galerie marchande. À l’intérieur le fast-food d’une grande chaîne US. Lieu de passage, de parenthèse retenue, pas trop dans tes habitudes. S’y attabler dans l’air climatisé, à cet horaire un peu décalé, pour écrire et petit déjeuner de nourriture industrielle/surgelée. Choisir une table d’angle, contre les baies vitrées pour profiter non seulement de la vue dégagée sur la salle mais aussi sur le parking. Comme support d’écriture, mon téléphone, envie de discrétion pas de dégainer carnet et stylo. Très peu de monde. Cadrer, noter et relever les couleurs vives du lieu, son agencement, l’autoroute où porte la vue. Composer comme une photo. Et puis la violence de la ville et du monde qui s’engouffre, déstabilise. Des gosses très jeunes, habillés pauvrement, chaussés de sandales en plastique trop grandes, barbouillés, mal réveillés. Au comptoir, ils payent en liquide des jus d’orange, les employés s’adressent à eux comme à des habitués. Les suivre du regard et les voir se diriger vers de vieux fourgons éparpillés sur le parking. Invisibles pour toi jusqu’à ce matin-là. Ton chocolat trop sucré, ton donut gluant de gras. Des adultes sortent des camionnettes, certains se recoiffent dans les rétroviseurs encore intacts, tous se dirigent vers le fast-food pour un café. Un matelas crasseux est aéré. D’autres enfants. Les carrés de terre aux pieds des arbres rabougris leur servent de WC. Tu en comptes une demi-douzaine de ces utilitaires fatigués. Certains ne sont sans doute même plus en état de marche, épaves qui ne transportent plus que les rêves et les cauchemars de leurs habitants. Sans doute, contre la promesse de ne pas importuner la clientèle, une tolérance de la part de la direction. C’est le COVID qui les chassera. Aujourd’hui, eux ou d’autres, les habitants du parking et leurs vieux fourgons revenus aux bordures de ma ville et de ma vie. Les écrire pour les dire mais toujours une vitre épaisse comme celle du Mac-Do entre nous. A moi de la briser.
Codicille : pour ce texte appui sur une expérience d'écriture in situ à l'occasion d'un ancien atelier du Tiers-Livre : https://www.tierslivre.net/ateliers/dans-la-galerie-dun-hyper-par-la-fenetre-du-fast-food/
Quelque chose de fort dans ce texte borderline, de bord de ville, de bord de jour
j’ai ressenti de la tristesse au profond de ta contemplation
beaucoup aimé
Ne sis pas trop quoi écrire, mais une résonance certaine en moi de ce texte
Jérôme, tu décris là une expérience forte d’écriture dans la ville. Un peu triste mais prégnant.
Merci pour cette lecture !