Tout écrivait quand j’écrivais dans la maison. L’écriture était partout.
Ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c’est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distinct et inséparable de la vie même. On est acharné. On ne peut pas écrire sans la force du corps. Il faut être plus fort que soi pour aborder l’écriture, il faut être plus fort que ce qu’on écrit.
Je crois que c’est çà que je reproche aux livres, en général, c’est qu’ils ne sont pas libres. On le voit à travers l’écriture : ils sont fabriqués, ils sont organisés, réglementés, conformes on dirait. Une fonction de révision que l’écrivain a très souvent envers lui-même. L’écrivain alors il devient son propre flic.
Il y aurait une écriture du non-écrit. Un jour ça arrivera. Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Égarés. Là, écrits. Et quittés aussitôt.
marguerite duras ÉCRIRE 1993
Peut-on quitter les mots comme on quitte la ville, sans regrets, parce que les premiers n’ont pas su comprendre ce que la deuxième n’a pas su entendre de cet arrachement à l’enfance et aux gestes simples et familiers d’une maisonnée de village. Se promener à l’âge adulte, dans un village que l’on connait depuis presque toujours, ou tout autour, c’est refaire l’expérience d’un corps qui affronte les saisons et les humeurs partagées des gens de rencontre. Le souvenir d’une porte qu’on ne ferme à clé qu’en cas d’absence prolongée et le trousseau qu’on laisse dans une poterie ou sous un paillasson. Ce sont les brouhahas constellés de rire de mères au foyer qui cherchent un peu de fantaisie dans les files d’attente des magasins principaux, on va à la viande, au pain, chez l’épicier et on ramène tout ce qu’il faut de détergent en baril pour les grosses lessives. En ville à 30 kilomètres, on a davantage le choix, mais on y va pas à pied, et chez la Mère Untelle on a ses petites ristournes, être une famille-cliente fidèle a des avantages personnalisés, même avec des ardoises au 20 du mois, on s’arrange. Ce sont donc pour la plupart des familles nombreuses, quasiment des tribus. Dans le quartier du Mas des Aires dont la rue en pente a été rebaptisée rue Roger Salengro ,il y a de quoi faire. Les enfants jouent ensemble et comparent leurs parents.Cela dure longtemps jusqu’à la crise d’adolescence et le départ au lycée à l’extérieur en car. Déjà la ville, trop tôt la ville, la pension pour certain.e.s plus l’impression irréversible d’un exil,d’un paradis perdu. Peut-on retrouver les mots qui fournissent les sensations d’une enfance au village ? Essayer, de toutes les forces mentales de l’écriture ? Archiver ? Oublier ? Renoncer ? La Ville ne sait rien de tout cela.
« Ce sont les brouhahas constellés de rire de mères au foyer qui cherchent un peu de fantaisie dans les files d’attente des magasins principaux, on va à la viande, au pain, chez l’épicier et on ramène tout ce qu’il faut de détergent en baril pour les grosses lessives. « peut-on retrouver les mots? c’est un beau texte. Merci
« Se promener à l’âge adulte, dans un village que l’on connait depuis presque toujours, ou tout autour, c’est refaire l’expérience d’un corps qui affronte les saisons et les humeurs partagées des gens de rencontre. » Merci Marie-Thérèse et je vais cet été, expérimenter ce protocole, sans doute me fera-t-il écrire …