La médiathèque, il n’y va plus que pour les enfants et leur dernier Gardiens des Cités perdues, de temps en temps. Rarement en fait. Pour emprunter quelques livres et des DVD. Il n’emprunte jamais rien. Ou rarement. La dernière fois c’était un film de Tarkovski, Stalker. Il est tombé dessus par hasard. Sinon, il n’emprunte rien. Seulement les allées, les escaliers. Il remarque ce qui a changé. La maquette en carton d’un village de montagne à l’entrée, sous l’escalier, ou un dispositif de coquillages. Une espèce de totem de robots, boîtes en carton peintes empilés. Les mille et une grues en papier suspendues dans la salle des albums jeunesse. Le déplacement du bureau de la bibliothécaire au bout de la salle, elle gagne en place. La disparition des postes informatiques dans la petite salle d’étude au fond, un mur de livres à la place, rayon littérature classique. Une chouette en tissu coloré dans une cage à oiseaux blanche. L’apparition d’un coin jeux de société, avec de nombreuses petites boîtes. La réapparition des postes informatiques au milieu de la salle d’étude, des ilots d’écrans en vis-à-vis, et impossible de vraiment étaler ses feuilles, des livres sur des chevalets en plexi. Le personnel aussi a changé. Deux ou trois, là depuis le début, le reconnaissent. Eh bonjour ! comment ça va ? Vous venez plus nous voir ? — Ah ben ça fait longtemps qu’on vous avait pas vu ! Oui, c’est vrai, il vient surtout pour les enfants maintenant et le dernier Guerre des clans. C’est que c’est fini depuis longtemps les études ! Du temps où il venait presque chaque jour. Il déposait juste avant les enfants à la halte-garderie. D’abord le petit, quelques années après la petite. Et toujours le même sac à langer plein des couches de la journée, des biberons, du lait en poudre, de la crème hydratante et des cotons, et plus tard des petits pots, et un jouet fétiche, un doudou. Et puis il descendait à la médiathèque, toujours avec le même sac noir rempli de tel ou tel livre des Œuvres complètes de Barthes, deux ou trois livres de poche, autant de chemises, un grand bloc-notes petits carreaux, un petit pour des notes prises au vol, la trousse en peau de je ne sais quoi, parfois la machine et la clef. La rue principale qui descend dans Sauveterre jusqu’au feu. L’allée de tilleuls, les maisons anciennes. Le carrefour et le bel édifice de la Caisse d’Épargne avec son entrée en coin, un escalier et deux piliers soutenant le balcon arrondi, où l’on ne va jamais, sa porte-fenêtre blanche constamment fermée et, au-dessus, une vieille horloge dans une sorte de lucarne en pierre moulurée. Plus bas, le square, son grand monument en mémoire de Ruibet et Gatineau, les grands résistants d’ici. Et puis la médiathèque. L’ancienne gendarmerie longtemps désaffectée en forme de I, majuscule. Quand il c’est plutôt par derrière, par le parking, rarement par la place, le bassin et la fontaine transformés en jeu d’eau à fleur du sol, la terrasse du café qui a changé de nom. Il montait directement à l’étage, sans traverser la grande salle des romans et la cellule des journaux et des BD, ou rarement, et s’installait dans la petite salle du fond, dans l’empattement de l’édifice. Là où, sur les deux hauts étages d’origine, on a aménagé trois niveaux, le sol coupant les grandes fenêtres en deux parties inégales, et qui semblent, à l’étage, n’être que des lucarnes basses. Le jour n’y entre que faiblement, et il faut se baisser pour ne rien voir de ce qui se passe dehors. Il n’y avait personne, le plus souvent. Il ouvrait un livre, deux, trois, dispersait peu à peu ses feuilles sur la table, perdait un stylo dessous ou derrière la machine. Un temps de recherche sur un poste informatique, à disperser ses vagues idées dans d’autres, des mots et des images pour rien, généralement. De temps en temps, un visiteur, un lecteur. La bibliothécaire qui vient ranger quelques livres. Parfois, un groupe d’enfants, de passage pour monter à l’étage du dessus pour la jeunesse. À l’approche de l’été, un lycéen, des lycéennes, déjà là et pas de place ! obligé de se mettre dans la grande salle, sur le petit fauteuil au rayon dictionnaires et grammaires. Des vacanciers, des curistes perdus, on se demande comment. Et on le prend pour quelqu’un qui travaille ici, on cherche tel film, c’est possible ? il sait où c’est ? Et le groupe de l’IME, avec ce jeune homme qui s’est installé devant l’autre écran et qui lui parlait, lui demandait je ne sais quoi, lui parlait de ceci, de cela, se parlait à travers l’écran, à travers lui, pour lui demander quoi déjà ? qu’est-ce que je disais ? Que pour une pause il partait dans la grande salle, il se promenait dans les autres rayons, s’arrêtait côté dessin, peinture, photo, ciné, archi, il feuilletait un gros ouvrage, regardait les images, observait les structures, essayait du moins, ou il passait dans le coin film et musique en construction, trop peu de références et sans réelles nouveautés, et il regardait par la lucarne, où le soleil donne mieux ici, en entendant parfois descendre dans l’escalier la voix d’une maman en train de lire un conte. Le square, il y est allé aussi, une fois ou deux, pour prendre l’air. Il y a rarement du monde. Sauf jour de commémoration d’armistice où la foule se masse devant le monument arqué, ses colonnades de part et d’autre d’un fronton, la grille rouge et le mur derrière, où se trouvent les plaques commémoratives sur un lit de gravier. Le mur où a été exécuté Claude Gatineau. Un mur de pierres et de moellons de dimensions et de couleurs variables, plus ou moins décrépi. Un mur qui a l’air d’un fond de caverne. Sur les plaques de marbre, on lit ce qu’il y a d’écrit.
merci de ce texte qui m’a fait découvrir cette médiathèque
Merci pour la lecture et le petit mot.
Je m’aperçois que j’ai réussi à faire l’impasse sur le monument. Je suis passée dix fois devant sans aller voir…
Je te réponds à retardement (mais je suis en retard sur tout ; même la vie il me semble parfois, mais laissons cela aux psys et à mon cheval). — Oui, ce monument : autant on retrouve l’autre, dans les carrières d’Heurtebise en photo sur le site des monuments dont je t’ai parlé en début de cycle je crois, autant celui-ci est juste mentionné, pas photographié. — La grille rouge me fait un drôle d’effet. quelque chose de l’Alerte ?