Écrire dans les marges des livres que nous lisons comme nous déambulons (à la recherche d’un ouvrage ou d’une place assise pour lire ou travailler ou rêver), dans les marges des bibliothèques. L’écriture c’est un temps qui nous fuit, que nous n’avons de cesse de tenter de rattraper, au ralenti. Écrire pour arrêter le temps. Savoir ou fixer son regard. Ordonner cette quête, quitter le tourbillon de lumière et de nuit qui nous tourmente. Écrire comme une marche au hasard. Écrire pour être ailleurs. Littéralement dans les nuages. Absent, distrait. Ailleurs, oui. Écrire pour trouver le sens de la marche. Nous avons trop souvent peur de ne rien avoir à faire, de perdre notre temps. Il n’y a pas de précipitation à l’écriture. Prendre le temps de la réflexion, laisser place à la rêverie. Trouver sa place. Partir de chez soi, sans savoir avec précision où aller, commencer à marcher, à remonter les rues, longer les trottoirs, se faufiler entre les passants, regarder ce qui se passe autour de soi tout en marchant, être à l’écoute de la ville, les bruits des voitures, les conversations feutrées dont je ne capte que certaines bribes ou au contraire ces cris, ces invectives qui déchirent l’espace. « En fait, dit Claude Simon, je crois que l’on peut écrire à partir de n’importe quoi. Des jeunes viennent parfois me demander des conseils. Je leur dis : descendez dans la rue, marchez pendant cent mètres, revenez chez vous et essayez de raconter tout ce que vous avez vu, senti, remémoré ou imaginé pendant ces cent mètres… Vous pouvez avec ça faire un livre énorme… »
Une dérive immobile à l’intérieur de ses entassements, de ces enfouissements secrets. Là encore, écrire. Pas d’autres solutions. Avancer dans le récit de cette absence qui nous dépasse, qui nous trouble. Barrer la mention inutile. Tout se transforme, s’enchaîne, tout doit se tenir. Un exercice d’une mélancolie joyeuse. Avancer sans savoir où l’on va avec précision, sans connaître la destination finale. Du temps passe, immobile. Ce temps où l’on est transporté. Mon lieu d’écriture aujourd’hui, c’est le web. Mon repère comme indice (j’y trouve ce que je ne savais pas que je cherchais), mon repaire comme abri (j’y trouve ce que je cherche). C’est aussi mon espace de lecture, de partage et d’échange. Retour ligne automatique L’essentiel de ce que je lis passe par là. J’y écris mes textes et les y diffuse. Mon site est mon espace d’écriture. Un lieu que j’invite à visiter et que j’explore en l’inventant. Ce n’est pas notre relation au livre qui change, c’est notre rapport aux autres, au monde qui nous entoure. Donner à lire des œuvres dans leur mouvement, dans leurs étapes successives, leur ouverture. Où lire où écrire… Les oloés d’Anne Savelli, ce seraient ces endroits où lire où écrire (le second ou pouvant se comprendre également, c’est au choix, comme un où sans accent), de ville, de mer, de campagne qui font une brèche, nous y accueillent. L’idée n’est pas de fuir mais plutôt de creuser. Des lieux où s’attacher, se concentrer, se laisser distraire ; s’alléger, se lester, jouer des dimensions. Elle dresse une liste de ces endroits dans son livre : « Une chaise, un lit, un canapé, une baignoire, une place de métro, un banc dans un parc, un muret. Un fauteuil à roulettes, une file d’attente, une branche, une buche, un abri de tramway, une marche d’escalier. Une plage, un kiosque, un socle de statue, un recoin de cafétéria. Un bar sans BFM, une borne kilométrique, une alcôve, une serre, un divan de musée. Un pont. Un toit. Un rocher au soleil. Un compartiment vide, un rebord de fenêtre, un parpaing de parking, un tapis enroulé. Un pouf. Une malle. Un siège de WC. Un tas de feuilles sous un arbre, la pelouse des piscines renommée solarium, la salle des pas perdus quand elle n’est pas devenue une galerie marchande. Un cube dans une galerie. Le bas des toboggans. Une cabine d’essayage au fond d’un magasin. Un tabouret de cuisine, un rempart, un trépied, une dune, une clairière, un opéra fermé. Un squat. Une salle de sport en grève. Un coussin, une chauffeuse. Une butte, une balançoire. Un corps nu qu’on aime (ou habillé) (s’y appuyer). Un édredon. Une méridienne.Retour ligne automatique Un oloé. »
Faire son trou, trouver sa place, l’endroit où l’on écrit. Prendre le temps de le trouver. Trouver le temps de s’y perdre. Inventer des espaces qui n’existent pas, ou que les autres ne devinent pas, des espaces élastiques, des lieux inédits et accueillants, s’y engouffrer pour écrire, pour quelques heures ou plusieurs jours. Parfois l’espace d’un instant seulement. Des postes d’observation, des moments de calme, de replis et d’ouverture en même temps. Dans le mouvement (les transports en communs (métro, train, bus)), la déambulation (en ville ou à la campagne). Dans le repos (un coin de table à la maison, sur son bureau ou quand tout le monde dort, dans le silence nocturne). À l’intérieur, dans les cafés (chacun son carnet d’adresses), les bibliothèques (privilège du bibliothécaire qui profite de cet espace quand il est ouvert et vivant, avec le public qui le fréquente, mais pour lui seul également, les jours de fermeture). Dehors, dans les parcs, dans la lecture d’un livre, d’un journal, la contemplation d’une image. En se réfugiant dans son site pour écrire, et les sites des autres pour les lire. Et dans le sommeil également.
j’ai retenu fort « écrire pour trouver le sens de la marche »
contente de te découvrir, Philippe… d’avoir pris le temps ce matin de venir enfin sur ta page, de me faufiler dans ta langue…
Merci beaucoup Françoise. Ce mouvement de la marche déclenche et libère ce qui s’écrit secrètement en nous. Les lieux de ces oloés sont autant d’étapes, de points de vue variés et de points de départ à l’écriture. J’en profite pour vous vous dire que nous partageons la même attirance pour le mot mordoré et que j’ai beaucoup aimé votre texte d’un mordoré.