Avant elle écrivait plutôt des nouvelles, de courtes nouvelles à partir de micro-événement qui lui était arrivé, qu’elle avait lu, vu ou entendu. Une manière de dire le monde tel qu’elle le voyait, tel qu’il lui posait question, l’amusait ou la mettait en colère. Et puis ça s’est tari, l’a lassée ou bien c’est autre chose qui est arrivé, plus fort que la fiction, la pandémie, le confinement, quelque chose qui dit « pas la peine d’inventer, tout est là devant toi, regarde, tu ne sais rien ; regarde les signaux faibles, apprends à voir ce monde qui change ». Ça a peut-être commencé comme ça.
Avant il y avait eu les séries photographiques à Port-Saint-Louis-du-Rhône (Décroissance heureuse), à Chabeuil, Beyrouth et Sète, villes jumelles dans sa tête (et d’ailleurs ça s’appelle Paysage mental). Faire récit, faire histoire avec des images. Rendre compte d’émotions, de questions, d’impressions de soi-même confronté au réel. Le tour de l’île de Montréal, celui de l’île de Cayenne, la ligne de bus qui passe près de chez elle quand elle se rendit compte qu’on peut faire à pied ou à vélo (ou même sur Google maps) des voyages extraordinaires qui ont du sens, pas la peine d’aller au bout du monde; à 1 km de chez soi, il se passe des choses, on rencontre des gens et on en apprend plus sur le monde que dans toutes ces villes dont on n’a vu que le centre, la gare ou l’aérogare. Depuis la pandémie, elle ne fait plus que ça. C’est un moment, c’est comme ça, après elle fera peut-être autre chose.
Elle ne prend pas de notes, des photos souvent ; elle part avec un trajet, une hypothèse, quelque chose sur lequel elle va se concentrer et une envie d’exhaustivité et en même temps la plus grande disponibilité à l’imprévu. En général, c’est tout autre chose qui se passe : le trajet est trop long, une rencontre fait dévier l’itinéraire, une découverte amène une autre envie… c’est infini et c’est cela qui fait le prix de l’aventure dont on devient le héros comme un explorateur en pays inconnu.
Après, il faut écrire vite le soir avant d’oublier, avant que tout s’emmêle dans les souvenirs des itinéraires et des rencontres. Écrire dans sa bulle en vérifiant des noms, des dates, des références glanées ici ou là. C’est un moment de grande concentration qui exige la bulle, tout le contraire du moment de l’exploration nez au vent. Parfois c’est une journée ratée, on s’est perdu, les photos sont mauvaises, il pleuvait. Rien de grave. Surtout ne pas abandonner.On est au bon endroit quand on est dans un blanc de la carte. On parlera de sa journée ratée, parler de soi, de sa manière de vivre le monde, n’est-ce pas toujours le projet de qui écrit ? Car ce n’est pas un guide de voyage qu’on écrit, mais sa sensibilité mise à nu. Peut-être cela n’intéressera-t-il personne, au moins elle aura vécu une belle aventure et souvent le réel dépasse la fiction. Le récit de voyage comme forme littéraire, deux siècles après les guides Baedeker ! Un siècle après les grands journalistes-voyageurs ! Trois siècles après les grands explorateurs ! Il y a des blancs dans la carte, vous n’imaginez même pas.
Elle a décidé de consacrer ces 40 jours d’écriture à sa petite ville de Lissieu (3200 habitants) parce qu’à 25 % la population a voté pour l’extrême droite (Zemmour + RN) au premier tour des législatives de 2022 et qu’elle ne s’y attendait pas. Une sorte de blanc de la carte.
Emotions fortes à cette lecture.