C’était un village grec qui s’était étendu lentement au fil des années et l’on peut dire qu’il était devenu une petite ville. Il n’était pas habité entièrement toute l’année. En hiver, en son cœur, autour de la vieille église troglodyte résidaient une petite centaine de personnes. Dès le début du printemps, il grossissait et s’étendait au-delà de la nouvelle place réaménagée à partir des plans anciens et naturels. C’était l’été. Le matin, la surface de la mer ne bougeait presque pas, parfois quelques ondulations en perturbaient le calme. Le soleil n’avait pas encore passé la muraille de roche granitique imposante au-dessus des bars, des restaurants clos, des boutiques fermées. Les éventaires étaient cloîtrés derrière les grilles des boutiques, tout dormait encore, les rues étaient vides, le moment idéal de la journée pour déambuler dans les rues. Je me consacrais à un projet d’écriture sur quarante jours au sein d’un atelier collectif d’écriture et cherchais un lieu où écrire. Je ne m’étais pas vraiment organisé. Le sujet principal en était la ville. Tout pouvait-il faire une ville ? Ce village par exemple ? Je n’étais pas convaincu que là-bas ce fut facile d’écrire mais au fur et à mesure un avis contraire prit forme en moi. Ce qui déclencha cette prise de conscience, que j’expliquerais plus tard, fut le passage d’avions de chasse, d’avions de guerre menaçants qui vrombirent au-dessus de ma tête tandis que je me baignais. Le monde semblait au bord du précipice. Des forces, nous dépassant tous, se déchainaient à quelques kilomètres et nous n’étions peut-être pas sortis d’une curieuse pandémie. Nous venions de faire une expérience collective à travers la planète tout entière et l’époque de recul sur cet évènement ne semblait pas venir. Certains pensaient même que nous n’étions pas allés assez loin et qu’il était temps de s’imposer. Nous glissions dans le chaos. Je pensais en marchant à la description des pierres noircies de la Fraunkirche dans un texte de Cécile Wajsbrott écrit lors de son séjour à Dresde. En même temps, je voyais les traces de ce grand port méditerranéen disparu qui baignait la cité de Faestos étendue jusqu’à presque dix kilomètres dans les terres. Il n’en restait pas grand-chose, des grottes qui avaient été des tombes sous l’occupation romaine, un cube de pierre taillée où les commerçants égyptiens avaient leur temple, et quelques fish tanks comme les décrivit Barnes dans ses études archéologiques. Sous chacun de mes pas le sol renfermait, sous sa dalle contemporaine, les vestiges d’une ville plus vaste qu’aujourd’hui. Je marchais ainsi une bonne heure, prenais des photos. Je croisais parfois quelqu’un qui commençait sa journée de travail et ouvrait une boutique, j’entendais les machines à café cracher de la vapeur, quelqu’un balayait devant sa porte. Puis assis sur le sable, j’écrivais tout cela dans un logiciel d’écriture sur mon téléphone, monde contenu dans une puce à l’urbanisme infinitésimal.
L’image contient l’image qui contient l’image qui contient la ville qui contient l’aube de quelqu’un qui écrit les mots de la ville qui contient le temps et c’est ici maintenant. Merci Romain
Romain, ou l’écriture immédiate de ce qui s’écrit assis sur le sable. Un monde.
Merci !