Elle est assise à son bureau, réfléchit. Où est passée ma carte d’électeur ? C’est vrai qu’elle égare régulièrement des choses, il le lui reproche. Ce papier était pourtant là près du téléphone ou la clé du portillon pendue au crochet du mur, elle s’en souvient. Il dit que non. Cette fois, disparu le papier ou la clé. Elle a tenté d’organiser la vie du mieux possible dans les lieux occupés au cours du temps, ou plutôt les objets obligés de la vie : papiers administratifs, livret de famille (à quoi ça sert si on n’a pas d’enfants), toutes sortes de permis pour conduire circuler se garer, déclarations d’impôt et sur l’honneur, bulletins de salaire, fichiers médicaux, contrats d’édition, cartes de fidélité. Elle a constitué des dossiers de différentes couleurs. Deux ou trois mots au gros feutre genre banque, eau, électricité, assurances. Ça s’est compliqué quand il a occupé la même maison qu’elle, lui abandonnant la paperasse — pas du style à ranger quoi que ce soit, encore moins par ordre chronologique. Bien sûr qu’elle a déjà cherché dans le portefeuille. Rien. Elle a fouillé deux fois le tiroir du bureau, celui du haut – d’habitude la carte est là dans un étui en paille acheté en Indonésie avec la carte Intermarché et des photos d’identité non utilisées. Rien. Tant pis. Elle a dû la jeter avec les autorisations de sortie et les certificats de vaccination. Ah oui elle y pense brusquement, il faut acheter la vignette Crit’air pour pouvoir circuler dans les zones urbaines à partir du 1er juillet, réclamer le macaron pour accéder au parking en période estivale, ça commence aujourd’hui. Toujours sous la menace, montrer patte blanche. Assez. Sur la table, la facture d’eau. Assez. Partir. Oui mais faut un passeport à jour, un visa selon, une assurance. Assez. Assez. Non, je n’ai pas de mutuelle. Et alors ? Vous voulez ma photo ?
Et alors ? Vous voulez ma photo ?
Codicille : pas beaucoup de temps aujourd'hui... ai eu bien du mal à démarrer, j'aurais voulu rester reliée aux textes précédents mais je n'ai pas trouvé le truc, alors j'ai fait un truc à part, un peu bateau... pas satisfaite grrr !! mais tant pis !!
Je retiens de ce texte la familiarité des questions qu’on se pose quand on doit faire une démarche et qu’on est pressé.e. On croyait partir comme une flèche avec les bons éléments en main, on avait pas trop le temps, ni l’envie de démarrer d’ailleurs. Et cette culpabilité insidieuse de ne pas avoir prévu le truc, accéder au document , à la clé , en urgence qu’on a pas soi-même voulue. » Toujours sous la menace, montrer patte blanche. » Le regard asymétrique, hautain , indifférent ou mielleux de la personne qui « officie » au nom d’une administration, d’un poste de contrôle des conformités… Les papiers comme les clés, ça s’accumule,ça se perd, ça donne envie de les précipiter dans une rivière pour que leur vie ne soit pas dépendante de nous. Mais on joue le jeu, on classe, on range, on étiquette à l’arrache, on conditionne… Chacun.e sa méthode, pas la même, bien évidemment, dans un couple, on se chamaille à ce sujet et on invente des zones neutres le moins possible : ce panier là, sur le piano, ce classeur là dans la pièce à fourguer tout ce qu’on doit ranger depuis des lustres. On est les roi et reine des cartons pliables de bureau, des barquettes à étiquettes superposées, des chemises cartonnées à élastique qui cassent, des classeurs métalliques à serrure qu’on ne ferme jamais ( on a perdu la clé) . On rêve d’un grand placard avec échelle escamotable où tout serait impeccablement aligné comme dans les films derrière des portes de mur secrètes , ouvertes avec un code connu uniquement des initié.e.s. Mais je rêve là… Les clés , on les a en double pour les principales, trousseau personnel dans la poche ( ne pas changer de veste) ou au fond d’un sac ( ne pas changer de sac). Les papiers, on les met où on dit, où on peut… Après c’est l’aventure… On est pas des greffier.e.s. Juste vivant.e.s et parfois flemmard.e.s et consciencieusement distrait.e.s … T’as pas vu mes clés ? Soupir… Ah, pardon, je les ai retrouvées, merci ! Sourire discret ou non, narquois ou non. Cela dépend de l’humeur et des habitudes de la maison. La vie des objets se partage pour le meilleur ou pour le pire… Rien de neuf sous la crémaillère… Et encore on ne vous raconte pas tout !
et bien je crois que ton commentaire, chère Marie Thérèse, devient lui-même texte… tu pourrais ainsi travailler en écho d’un autre texte pour répondre à la proposition du jour
en tout cas c’est exactement ça
merci infiniment de m’avoir offert cette prolongation…
Oui, bien sûr, je vois bien que ça fait gigogne tout ce qu’on partage… J’ai bien peur qu’on ait trop de textes au bout du marathon et ça va demander des moissons et des granges de grande capacité pour stocker. Ecrire c’est aussi effacer. On verra bien comment ça évolue. En attendant je prends plaisir à commenter. Merci pour ta confiance.