Tu n’es pas allée la chercher, non tu n’es pas allée chercher la couleur, la couleur Alizarine. Elle s’est imposée. Le rouge est partout, le rose est partout et toute la palette qui tangue du côté du violet les dénature. Ne parlons pas des autres couleurs , en pensant aux primaires, leurs mélanges sont convulsifs parfois irrémédiables jusqu’au marron ou au noir , ils déteignent facilement sur la couleur qui t’obsède sans parvenir à la sauver. Les peintres le savent. Il est difficile de la conserver vivante. D’autres te diront que non , avec des arguments techniques.Pourtant, tu es certaine de ton fait, même si tu ne la connaissais pas avant de l’avoir rencontrée.
Tu n’as pas trouvé d’où elle venait la couleur alizarine dans ta tête, tu n’as pas voulu faire autre chose que de la distinguer des autres, la chasser devrais-tu dire. Elle est l’empreinte d’une histoire dont tu ne te souviens pas, dont tu ne veux pas trop te souvenir. A la ville elle semble plus exceptionnelle car plutôt délavée, ne supportant pas l’absence d’entretien. Les arbres la conservent en promesse dans leurs projets printaniers.Mais ça vire au rose à chaque fois.
Maintenant tu optempères, tu admets qu’elle est précieuse et rare,qu’elle a besoin de précautions pour rester ce qu’elle est . Que sa formule chimique ne suffit pas pour garantir sa présence. L’Alizarine est convoitée. Tu as besoin d’apprendre pour l’apprivoiser. Des souvenirs reviendront avec elle. Cela peut prendre du temps. Vraiment !
Ce n’est pas dans l’enfance cette fois, ni dans l’adolescence. Et tu hésites à en parler ici. C’est un échec complet avec des fulgurances pour une amitié qui n’avait aucun avenir. Les années ont passées. La couleur alizarine reste, elle serine dans le mental, elle couine, elle tempeste, elle n’était pas responsable du fiasco. Tu appelles cela « courbatures sentimentales ». Mais comme il y en a toujours eu depuis le début de ta vie, tu attends que ça passe, la douleur après-tout n’est que lactique.Une incompatibilité d’histoires de mères qui a tout fait voler en éclat. Mais aussi une tendance à la confusion des émotions dans toutes les extrêmes. « Ne raconte pas ta vie à n’importe qui » disait -elle et elle avait raison. La vie couleur Alizarine fait mal aux yeux et aux oreilles…
C’est une maison aux volets bleus , plein sud, avec des persiennes , tu ne t’en souviens pas vraiment, mais du rectangle étroit presque noir, d’où émergeait un visage craintif, lunaire , anxieux, yeux pervenche, magnifiques. Il fallait avancer dans la cour pour trouver une première porte, d’abord celle une véranda. Tu n’en diras pas plus.Tairas toute anecdote. C’était déjà une intimité bousculée que de parvenir à cet endroit, malgré l’invitation pressante. Des rencontres du numérique ont créé cette scène et beaucoup d’autres. Un contact était fait. Un voyage s’est fait puis plusieurs autres. Toujours le goût pour la couleur Alizarine comme preuve indéniable d’un intérêt partagé.Un atelier de peintre au fond d’un jardin d’été. Tu n’en diras pas plus. Comme les trois singes, motus, oreilles et regards cousus. Juste cette couleur extraordinaire qui enflamme tout sans crier gare. Il faudra l’apprivoiser. Mais tu dis que « c’est difficile » comme le peintre Bram Van Velde. Tu l’as su dès le départ sans te l’avouer. Il y avait trop de couleurs et de douleurs parasites dans ce huis-clos improvisé. Rencontrer un peintre, une peintre est-ce rouvrir des plaies ?
N’insiste pas, tu ne soulèveras pas ce coeur rouge strié de veines fourmillantes. Ses battements sont fous et rien n’est plus difficile que de le tempérer. Repose – le sur l’herbe doucement et pars sans te retourner… sans regret… La route est longue….
Tu pourras toujours compter sur les nuances des couleurs pour en parler très à distance des encres indélébiles. Il était une fois une couleur , une couleur perdue au milieu des autres , la couleur Alizarine, dont le nom était déjà une sensation de brûlure et un onguent à la rupture. Ne t’en détourne pas. Laisse parler la toile sans bouger. Tais-toi !
Merci Marie Thérèse pour ce texte. Je ne connaissais pas cette couleur mais il y en a tellement. J’ai senti comment cette couleur pouvait s’insiner en toi avec tout ce qu’elle charrie.
Merci Véronique, le mouvement est onirique à partir de quelque chose de très réel et transformé pour rendre la rencontre méconnaissable, sauf à mes propres yeux. Lier une couleur à une rencontre est assez rare pour que j’en tire un filon d’écriture. Sans la consigne de l’atelier, j’aurais traité le sujet très différemment.C’est ce décalage qui « charrie » la matière et la modèle.Peut-être en « parpaing alizarine » inventé sur le motif, comme le ferait un peintre un peu sentimental.
Beau matin avec cette couleur parpaing, et comme la retenue te va bien, on est suspendue et émue, on frôle ce qui n’arrive pas, j’aime beaucoup,
Hello Merci de cet accueil pour un texte de funambule, et cette expression « couleur parpaing » où j’ai essayer d’explorer cette impression de rester au bord d’une couleur inattendue… Je m’aperçois que je ne fais pas de différence entre parpaing creux (à remplir et consolider ?) et pavé (dans la mare ?), rester sur la crête du Dire dans l’Ecrire est un bel exercice de ratures. Et ce texte a été écrit avant que je découvre le sublime clip PARPAING (Que du bonheur !) https://www.youtube.com/watch?v=Y8NqoHOUuYs
Alizarine et Bram Van Velde . Deux pour rêver. Merci