Ma ville est une lumière. Une couleur aussi, bien sûr, mais une couleur avec une lumière. Pas la couleur de la lumière, non. La couleur de ma ville brille d’une lumière très particulière, une lumière que seule ma ville possède. Une lumière qui donne à la couleur de ma ville son ton si particulier. La couleur de ma ville est particulière, aussi, mais je ne peux pas l’imaginer sans lumière. Je ne peux pas l’imaginer dans le noir. Pas dans la nuit (ma ville a une couleur dans la nuit), je parle du noir. Je ne peux pas imaginer la couleur de ma ville dans le noir. Je ne peux pas imaginer ma ville dans le noir. Quand je ferme les yeux très fort, ou quand je me mets un bandeau sur les yeux, je ne vois que du noir mais je sais que devant mes yeux, il y a une couleur. Je le sais grâce à la lumière. S’il n’y avait pas de lumière, je ne saurais pas que ma ville a une couleur. Je ne verrais que du noir.
Ma ville est une ombre. Une couleur aussi, mais une couleur avec une ombre particulière. Une ombre que seule une lumière particulière peut donner. Pas la couleur de l’ombre. Pas une couleur sans lumière non plus. Pas le noir, pas le gris. Non, une couleur qui brille aussi à l’ombre de cette lumière si particulière et qui lui donne sa couleur si particulière. À l’ombre. Une lumière différente donnerait une ombre différente et la couleur de ma ville serait aussi différente. Ce ne serait pas ma ville. Ce serait une autre ville. Une autre ville avec une autre lumière particulière, une autre ombre particulière. Une autre ville avec une autre couleur. Ce ne serait pas ma ville.
Le ciel de ma ville, par exemple, est très particulier. Il est bleu. Ce n’est pas pour cette raison qu’il est particulier, le ciel est bleu partout sur la terre. Sauf lors des levers et des couchers de soleil, lors des orages, des tempêtes, des nuits avec lune, des nuits sans lune… Quand on y réfléchit, le ciel n’est pas toujours bleu. Surtout dans les pays où il pleut tout le temps, où il fait toujours nuit. Ou alors dans les pays où le soleil se lève sans arrêt. Ou se couche. Ou alors où il ne se lève ni se couche. Je ne sais pas si ça existe. Ma ville fait partie de la catégorie des villes qui possèdent un ciel bleu. Mais la similitude avec les autres villes de cette catégorie, celles qui ont un ciel bleu, s’arrête là. Parce que ce n’est pas le même bleu que les autres. C’est un bleu particulier. C’est difficile à comprendre parce qu’il n’existe pas de bleu particulier. Il y a une infinité de nuances de bleus, mais il n’existe pas de bleu particulier. C’est juste du bleu avec plus ou moins de jaune et avec plus ou moins de rouge. Plutôt moins que plus, d’ailleurs, sinon, ça ne serait plus du bleu. Ce n’est pas qu’il y ait un peu plus ou un peu moins de jaune et de rouge qui font que le bleu du ciel de ma ville soit si particulier, c’est la lumière. La lumière dans le ciel.
Cette lumière si particulière vient pourtant du même soleil partout sur terre. Enfin, je crois. Il est probable qu’à certains moments de la journée, cette lumière doivent parcourir un peu plus de distance pour atteindre la terre mais ce n’est pas ça qui en fait une lumière particulière. Pensez à la lampe dans votre salon. Lorsque vous l’allumez, elle éclaire d’une même lumière toute la pièce. Bien sûr, elle éclaire un peu moins les coins ou les endroits éloignés de l’ampoule, mais la lumière est la même partout. Elle donne les mêmes couleurs. Le rouge de votre tapis persan est le même partout sur votre tapis persan. Sauf si votre tapis est plus usé à certains endroits. Mais, globalement, la couleur est la même partout. Et bien, dans ma ville, ça ne fonctionne pas comme ça. Les couleurs ne sont pas les mêmes qu’ailleurs. Parce que la lumière est particulière. Parce que la couleur de ma ville est particulière.
Merci pour ce texte Jean-Luc, je me sens en parfaite harmonie avec ce qui s’y dit sur la couleur et ce qu’on en perçoit qui n’est jamais tout à fait ce qu’on a sous les yeux.J’aime beaucoup comment le texte est à la fois poétique et réflexif sur ces notions de couleur. Et vous avez tout à fait raison, chaque ville a sa couleur et je crois que chacun dans sa ville perçoit cette couleur particulière qui n’appartient qu’à lui.
Merci Philippe. Intéressant de discuter des couleurs. Il faudrait parler des goûts maintenant.
merci pour ce texte oui où on comprends que la sensation de la couleur est très difficile à décrire.
Merci Emmanuel. Elle est difficile à décrire pour moi mais je lis ici des textes qui, parfois, énoncent en quelques mots des sensations complexes. Merci de votre passage.
J’avais aussi pensé décrire la couleur de ma ville, mais ma ville a comme toutes les villes, des tas de couleurs, sans que l’une d’elles s’impose dans notre champ de vision. Et pourtant, elle a bien une couleur, ma ville, tout comme la tienne. Et tu as parfaitement montré comment le faire et la décrire. La découverte des textes est ici un vrai bonheur !
Merci Helena. Tu as parfaitement raison, j’aime aussi me promener dans ces textes, on y lit de belles choses.