Parc des Guilands, Bagnolet
Je m’assieds. Je pose mes fesses sur les barreaux de la chaise longue métallique fixée sur la pelouse. La Tour Eiffel, la Tour Montparnasse à l’horizon. Bien plus près je vois aussi mes jambes nues allongées, mes pieds nus à côté de mes nu-pieds noirs, des herbes basses et vertes, des fleurs de luzerne ou de trèfle (j’ai toujours confondu), la grue orangée d’un chantier derrière des blocs d’immeubles. Un vaste imbroglio d’immeubles clairs partout en face. à quelques mètres devant mes pieds, 6 personnes sur la pelouse elles aussi. Au loin la canopée du Cimetière du Père Lachaise, devant mon corps assis au niveau du sol, des pigeons marchent dans l’herbe, clopin-clopant, ils ne s’envolent pas lorsque la sirène des pompiers pin-ponte.
Au lointain 3 grandes tours d’habitation et plus près de mon avant-bras, de ma main droite qui écrit avec un crayon de papier sur un bloc vertical, tous ces mots les uns près des autres sans ordre préétabli, des immeubles de briques rouges, de ceux qui bordent Paris, qui longent les Maréchaux, les boulevards périphériques. Tout ce qui ceinture la capitale. À ma droite la tour du Centre Commercial de la Porte de Bagnolet plus ou moins dissimulée par des branches, des feuilles d’arbres. Ça sent le tabac, quelqu’un doit fumer à proximité, derrière moi.
Derrière mon sac à dos en toile noir posé par terre à ma gauche, le clocher et la toiture pentue de l’église de béton brun, proche du quartier des coutures à Bagnolet. Un papillon blanc passe à portée de doigts, il se dirige en zigzagant vers la limite de la pelouse encore verte et des herbes plus hautes, décolorées, en périphérie de la zone où je suis assise. De là où comme moi, les gens s’assoit pour regarder Paris d’en haut. Des oiseaux piaillent, un homme torse nu en jeans passe juste devant moi, avec une casquette publicitaire, des lunettes sombres. Certains des immeubles de la ville en contrebas possèdent des balcons, des terrasses.
Le soleil chauffe mon bras, mes jambes. La fumée blanche de l’incinérateur, monte peu à peu, peu dense vers le ciel bleu pâle où quelques nuages ne me semblent pas menaçants. L’odeur de tilleul sucrée, légère, un corbeau solitaire va se poser sur une branche plus loin, et quelqu’un dans mon dos rote sans gêne. Il doit être près pour que ça soit aussi bruyant. Je distingue plus ou moins ce qui semble être le dôme des Invalides.
Me parvient le son amorti d’un groupe d’enfants qui parle, qui passe, en jouant sans doute. Des tiges de liseron en fleurs s’enroulent entre elles et les deux tours bâties récemment près de la Porte d’Ivry, leurs toits biscornus, penchent, me donnent l’impression qu’ils vont tomber. Elles sont loin ces tours, loin du groupe de pigeons qui traverse le ciel en face de moi. Entre loin et près, qu’est-ce qu’il y a ?
Il faudrait que mon regard revienne sur les 6 personnes. Mais c’est minutieux à décrire 6 personnes si on veut être précise. En bref. Près des fleurs de liseron, l’une d’elle, une fille, allongée à plat ventre sur une serviette éponge, en tenue légère, lit « Lovercraft », un papillon blanc virevolte près d’elle, sa copine son casque audio sur le crâne, pianote sur son téléphone. Elles sont jeunes ça va sans dire. Le vent incline les herbes hautes et desséchées. À deux pas de mes nu-pied, des mégots et un discret rassemblement de capsules de Heineken. Un moteur de tondeuse jaillit en contrebas. Seulement le bruit qui monte. Mais net et franc. À droite, un couple parle, elle a ôté ses bottes de cuir rouge, il boit une bière. Ils ne font rien. Il fait trop chaud, j’ai mal aux fesses sur ce cette chaise longue inconfortable. La ville me fatigue, j’en ai marre, je vais ailleurs.