Verticalement alignés, reliés. Certains venant d’être remplacés. Les anciens verdissaient, commençaient à se décomposer. Au fond, j’avais beau les longer très souvent en empruntant l’allée derrière le bâtiment, un raccourci pour les courses et aussi parce que les petites collines de la cité sont fraîches avec tous leurs arbres des années 70 qui ont bien tenu, difficile de réaliser. C’est seulement au contact que je les ai vus. Quelqu’un avait posé sur la bordure de tronçons un vêtement d’enfant oublié : tableau. Tee-shirt vif sur rangée de rondins clairs à tête circulaire, un diamètre de dix centimètres chacune. J’ai touché le bois, défroissé le tissu et soupesé l’instant. Vague de rondins formant avec ses hauteurs progressives les tubes pleins d’une longue flûte de Pan ou d’un orgue portatif muet qui aurait délégué aux bouleaux environnants la musique. On peut même s’appuyer sur les tronçons pour tester. Ils sont solides, scellés dans le sol au pied des collines. Enfoncement au lieu des racines. D’ailleurs, quelques collégiens discutent un peu plus loin, à cheval sur la suite de la bordure. La ligue des tronçons empêche le ruissellement des petites collines – les petites montagnes disent les enfants – créées à partir de la terre rejetée à l’intérieur de la cité au départ, à tel point que désormais, depuis le temps, les bâtiments entourent et protègent une petite forêt perchée. Tout du long, la digue de rondins agit avec ses sinuosités, sa participation. C’est du pin, élevé spécialement, dit quelqu’un. Pas eu besoin d’attaquer les arbres sauvages comme font les tronçonneuses des forestiers débitant à tours de bras les troncs qui rapportent. Les tronçons dans la cité sont doux au toucher, minces, abordables. Des pilotis à l’air libre. Leur assemblage forme à distance l’échine d’un dragon. On caresse des yeux son dos de petites collines. Ils longent, portent et retiennent l’histoire d’un quartier qui en a vu beaucoup, des tronçons. De toutes les couleurs.