Toute petite plume blanche sur le trottoir,
Entourée, surmontée, envahie par les dalles du trottoir, elles-mêmes mangées par l’herbe qui en redessine les contours carrés d’une nouvelle réalité,
Et la plume qui jadis appartenait à quelque volatile – un moineau, tout discret dans les villes, amoureux des buissons ; un pigeon, son contraire absolu, omniprésent et nuisible ; une pie, envahissante, intimidante – cette plume donc d’un oiseau non identifié ne lui appartient déjà plus,
Il l’a perdue, en s’envolant, en fuyant, sentant une menace, en se débattant, en chapardant une friandise,
Et en la perdant, la plume blanche elle aussi s’est perdue,
Elle s’est retrouvée comme désincarnée, extirpée de son corps, de son tout,
Mais elle ne savait pas à ce moment-là que l’âge, les traces du temps, allaient bientôt lui permettre d’appartenir à un nouveau tout : le carrelage insignifiant d’un trottoir de quartier, dont personne ne se soucie, sauf les yeux du Poète,
Lui seul sait d’où venait la petite tache blanche, du temps où elle était encore plume – et pas encore ankylosée, mangée par l’immensité de la métropole,
La toucher ne servirait à rien, la décrocher encore moins, la faire sortir du trottoir ? Elle ne comprendrait plus, elle n’existerait plus,
Elle a oublié le temps où elle s’appelait plume, le temps où la plume était dans l’oiseau, le temps où l’oiseau s’est envolé, s’est enfui, a senti une menace, s’est débattu, a chapardé une friandise,
Le temps de la toute petite plume devenue tache blanche sur le trottoir.