Absence de méduses ce jour là. La crique que nous aimions choisir pour ses rochers plats est presque déserte. La mer est douce, soyeuse, accueillante. Nous partons, sans nous éloigner, épier la danse lente des posidonies, survoler les fonds, suivre une troupe minuscule de minuscules poissons, espérer en vain un poulpe se réfugier dans sa maison invisible. Déjà tu regagnes la chaleur des rochers. Je reste encore à contempler, sans but, presque sans mouvement. Soudain je le vois, un visage. Besoin d’air pour m’en approcher. J’inspire et descend. Il est rond, un sourire. Je crois ce que je vois même si je sais que l’eau me trompe et qu’il n’est pas aussi grand. Je dois m’y reprendre à deux fois. J’inspire à nouveau et replonge. Je veux le tenir, le toucher, le prendre. Il est plus lourd que prévu. Je le tiens contre mon ventre. Il me leste. Il est mien, je l’emporte vers toi. Je nage d’un seul bras. J’enlève ce galet à sa mer, pour l’exposer au soleil, le déposer à tes pieds. Tu n’ignores rien du comportement des manchots en amour. Tu acceptes de voir un sourire, des yeux, un visage dans cette pierre roulée. Tu poses ta main sur elle. Tes doigts suivent ses veines. Le galet reste de marbre. Jamais il ne comprendra pourquoi nous l’enlevons. La pierre, aussi ronde soit-elle, aussi dense, aussi souriante, aussi brute, aussi rugueuse et douce à la fois, ne peut pas savoir cela. Comment un caillou saurait-il qu’il peut faire se tenir nos mains à distance ? Me rassurer de ton absence, te faire être là, me faire être avec toi. Des siècles de tempêtes, d’écroulements et de roulements incessants, polissent la pierre, façonnent le galet, lui donnent visage. Ta main, ta main seule, lui a donné sens. Voilà pourquoi, enfin, ce caillou sourit.
« Tu n’ignores rien du comportement des manchots en amour. Tu acceptes de voir un sourire, des yeux, un visage dans cette pierre roulée. Tu poses ta main sur elle. Tes doigts suivent ses veines. Le galet reste de marbre. Jamais il ne comprendra pourquoi nous l’enlevons. » Je Kiffe comme disent les Djeun’s. C’est « genre » LE GRAND BLEU sans bouteilles, et une histoire d’amour qui se déguise en stèle improvisée. Le fond de l’histoire est tendre. Merci Ugo !
Merci Marie-Thérèse. Et sur le fond, tu as tout à fait raison.
J’ai une question: combien y a-t-il de poissons dans « une troupe minuscule de minuscules poissons »?
et une remarque :
« Comment un caillou saurait-il qu’il peut faire se tenir nos mains à distance? »
Quelle question !!!
Je ne peux pas te répondre concernant les poissons : ils sont passés très vite, pas du le temps de compter. Merci de ton passage Philippe. Belle journée
arf…j’aurai resté avé le caillou moua…
j’aime beaucoup les moments de la descente et de la remontée en apnée avec le caillou, le caillou un peu trop lourd qui révèlera son visage. Ce caillou transitionnel qui sourit. C’est très beau.
Comme c’est beau, doux et (comme je l’entends) presque murmuré. Et puis il y a ce mot Posidonies.