#40 Jours #12 | Partir dans la douze avec un sécateur

On ne donne pas de l’Art aux cochons !

ANONYME FICTIF
Arborescence Urbaine

Il est vrai qu’avec un plan de quartier on peut mieux expliquer l’endroit où l’on vit depuis plus de quarante ans. Et pourtant, on n’y voit pas les gens.Les gens du dessous, du dessus, d’à côté et pire ceux d’en face, rangés dans des habitations de tout format, de tout standing, sur une épaisseur incalculable en direction de l’horizon. On en croise si peu, en proportion de toutes ces peuplades cosmopolites empilées dans leurs alvéoles compactées . Je comprends juste aujourd’hui pourquoi certains écrivains veulent à tout prix enlever les façades pour voir ce qui se passe partout à l’intérieur… Ou observer de même en se plantant aux carrefours ou dans des bistrots… Peut-être est-ce seulement un réflexe pour essayer de prévoir ou épier les catastrophes, peut-être les provoquer ? En regardant les rues sur le plan on ne voit pas cela. En roulant sur la vraie rue, on voit qu’elle est écrite avec des chiffres blancs sur gris… des 30 et des 50 en ce moment… Le plan ne montre pas les murs, les murs aussi sont écrits,même les plus gris, des gens qu’on ne voit pas faire écrivent sur les murs en dehors des panneaux d’affichage, et personne ne les attrape ! Ils sont comme des spiderman ou women et ils grimpent sur les toits, maquillent certaines cheminées, comme d’autres maculent avec leur marqueur les ascenseurs. Tout est illisible ou insultant sauf dans les quartiers « où ça pense » , là où il y a du militantisme ou de l’art répliqué avec pochoirs, en dehors des bâtiments. On confie même certains murs à ces grapheurs éphémères à casquettes pour qu’ils fassent des trucs un peu moins sauvages, un peu plus esthétiques et tendance « branchée ». Certains vieillissent et se font remarquer. Le type à la carotte et l’oiseau bleu qui boit à la paille. C’est amusant, assez léché, mais lassant au bout du compte, ça raconte rien, ça non plus… Avant , ils allaient surtout là où ça détruisait, les friches industrielles, le long des voies ferrées, ou dans les beaux quartiers pour le plaisir iconoclaste de taguer un mur fraîchement ravalé et repeint, de petites ou grosses signatures en virgules d’étrons, comme on essuie ses idées sales avec les doigts. Une catastrophe pour le voisinage. Tous ces enlaidissements de la ville viennent des States. On se souvient avoir sérieusement essayé de déchiffrer les signatures en les lisant de droite à gauche, mais ça ne donnait rien. Cela semblait être fait exprès… Et aucun dictionnaire pour se repérer..On les voyait comme une sorte d’écho aux poubelles… On les entrevoyait aussi dans les maisons squattées , dans les quartiers voués à la rapine et aux commerces illicites. Ce n’est pas signalé sur les plans, les noms de rues ne changent pas au rythme de ces disgrâces..Est-ce cela la dislocation d’une ville ? Cette absence de continuité dans la beauté formelle des édifices, des fresques, des monuments,des places , des ponts… rien n’est épargné… à un moment ou à un autre la souillure apparait et elle n’est jamais indiquée sur les plans. Non ! Jamais ! Dans la douze on voit la loose…Une sorte d’omission par incapacité collective à affronter la transgression, la contestation larvée, la colère de la rue imprimée en pleine peau sur la ville… Des coups de sécateur et des lambeaux de citoyenneté disséminés , jusque sous terre dans les bouches et les bouges de métro. Mais les gens « ordinaires » circulent « comme si de rien n’était »…Drôle d’expression… Mais les visages sont crispés, les enfants étonnés, à eux on interdit de barbouiller les murs et surtout avec des fautes d’orthographe. Il n’y a pas de fautes d’orthographe sur les plans, ça sert à dire qu’elles existent, on en change pas souvent Cela coûte cher de refaire les cartes. Peut-être qu’avec le Numérique on ne verra même pas disparaître les rues disjointes des autres rues par abandon, on ne se souviendra plus des dégradations. La douze est partie avec cette idée de sécateur et de grabuge dans la ville, une rumeur de loose oui, quelque chose qui rappelle la notion bureaucrate et universitaire de « fracture sociale ». On nous parlait de disjointure et on a entendu instantanément . dislocation.Inquiétante étrangeté des quartiers familiers. Il nous faudrait un personnage pour explorer et raconter cela. Mais il est trop tard. Les rues se sont endormies tandis qu’on écrit. Le plan ne sert plus à rien… Et puis parfois, ça passe… mais pas inaperçu… On imagine le rangement les bombes , le masque de protection posé à terre et on rejoint les écoliers à la sortie de classe par un gras jour de chaleur… ( A suivre ?)

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

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