Lorsque l’homme s’éveilla ce matin là, il découvrit quelqu’un, debout, vêtu d’habits en tous points semblables aux siens, dans le vestibule de son appartement, la mains sur la poignée de la porte, prêt à sortir. La vue encore un peu trouble des vapeurs du sommeil, le cerveau engourdi et la gorge légèrement enrouée, il s’appuya sur ses coudes, se redressa et demanda :« Mais qui êtes vous ? Que faites vous chez moi ? ». L’autre se retourna et l’homme vit dans la clarté du jour naissant, son propre visage qui s’apprêtait à lui répondre. Il fit un énorme O de la bouche d’où aucun son ne sortit tandis que l’autre le fixait . « Ce que je fais ? – répondit l’autre- d’une voix pleine de reproche. Et bien je m’en vais!». L’homme se mit en position assise, se frotta les cheveux, mis ses mains devant ses yeux et dit à voix basse pour lui même. « Je suis en train de m’écouter me dire que je quitte mon appartement. Suis je en train de rêver que je souhaiterai déménager ? Ais je entendu le réveil sonner ?» Il ôta les mains de dessus ses yeux en un geste ferme de vérification et se retrouva tout comme l’instant d’avant devant l’autre qui était lui. « Vous êtes moi? » Demanda t’il, profondément suspicieux et sur la défensive. « Plus pour longtemps- répondit l’autre. Tu m’ennuie.» « Je t’ennuie? -répéta l’homme, dubitatif- mais on ne se connaît même pas. » L’autre prit un air outré et s’exclama « Ah tu vois! C’est exactement ce que je pensais : tu « ne me connais pas ». Je suis toi et tu ne sais pas qui je suis. Dans ces conditions, peux tu me dire ce que je fais encore ici ? » L’homme cette fois s’était levé. Il entama de se vêtir tout en s’efforçant de comprendre ce qui lui arrivait. Peut être avait il de la fièvre? Il faudrait vérifier. « Je peux te toucher ? » questionna t’il. L’autre acquiesça de la tête et l’homme lui pinça doucement le bras. Clairement, l’autre était bien réel. « Et tu dis que tu es moi ? » murmura t’il regardant l’autre au visage, par en dessous. « ça ne se voit pas ? » trancha l’autre. « Si, si, c’est évident.» marmonnait l’homme de plus en plus inquiet. Quelques secondes passèrent puis il devint tout blanc. « Mais alors- s’exclama t-il soudain- Si tu pars, qu’advient il de moi ?!» « Ah, pour ça, débrouilles toi ! Moi, je n’y tiens plus , enfermé dans ta tête ! » et sur ces mots, il claqua violemment la porte et disparu dans les escaliers. On entendait parfaitement le claquement déterminé et sans retour en arrière possible de ses talonnettes qui dévalaient les étages. Pris de panique, l’homme termina d’enfiler son pantalon en clopinant, ferma les boutons de sa chemise, lassa ses chaussures le plus vite qu’il put et se regarda dans le miroir du vestibule où il prit la décision en une fraction de seconde de ne pas se peigner pour cette fois malgré le besoin qu’en avaient ses cheveux. L’urgence était autrement plus importante. Il se précipita dans l’escalier. « Où es tu, hurla t’il. Attends ! Tu ne peux pas me laisser comme ça. Je deviens quoi moi, si je disparais ? » En réponse, il n’entendit que le bruit des talonnettes qui devaient déjà être au rez de chaussée. Il dévala les escaliers, laissant la porte ouverte et son cartable à l’intérieur de l’appartement. Tant pis, il connaissait son cours, il pourrait improviser. Pour l’instant, une seule chose comptait : rattraper le fugueur! Rien, absolument rien n’était possible sans lui. Déboulant dans la rue, il l’aperçut juste au moment où l’autre tournait l’angle sur le boulevard. Il courut jusque là mais l’autre n’y était plus. Il crut l’apercevoir, au milieu d’un flot de passant juste devant le bâtiment de la poste mais il disparu de nouveau. L’autre affichait une totale désinvolture et semblait même prendre un malin plaisir à le semer. En réalité, il n’en était rien. L’autre n’avait même pas prêté attention au fait qu’il était poursuivi. Il s’en allait, tout simplement, comblé d’ émerveillement par tout ce que contenait la ville comme sujets de découverte. Il prit une rue à droite puis une autre à gauche, franchit un pont, emprunta un couloir souterrain, réapparu au sommet d’un immeuble, sauta d’un toit sur l’autre, redescendit par les escaliers de secours, monta dans un bus pour quelques stations, continua à pieds, sans but, à l’aventure. Les bâtiments bientôt se firent plus rares. Des arbres apparurent. Un horizon se dégageait. Il fit une pause dans un champs de blé au cours de laquelle il entama la conversation avec un épouvantail dont les guenilles flottaient au vent.: « C’est donc ici que vous avez décidé de vous arrêter où bien, comme moi, vous profitez seulement du paysage ? » demanda t’il à son homologue à tête de chiffon qui ne répondit pas . « Remarquez, s’installer ici est un choix comme un autre- dit il- et vous avez sûrement raison. L’endroit est bien choisi. On y voit clair, loin, le blé a une couleur magnifique et le vent est très agréable. On se croirait dans un tableau de Monet. Bonne continuation. » et il repartit. Pendant ce temps, l’homme n’avait cessé de courir en tous sens à travers la ville et, comme l’autre, au bout d’un moment, il en était sortit. Mais par quelle porte ? Dans quelle direction ? Et à quel prix ? Il était en sueur. Des sueurs froides, des sueurs de terreur. Ou avait il atterri ? Qu’allait il advenir de lui s’il n’était plus là? Qui allait veiller sur lui ? Qui allait lui montrer la direction à suivre ? Qui allait l’éclairer, le prévenir des dangers ? Il cherchait des panneaux qui pourraient l’orienter mais n’en reconnaissait aucun, c’était comme si tout était écrit dans une langue étrangère. Il fouillait désespérément l’horizon du regard à la recherche de l’autre et s’apprêtait à s’élancer à nouveau, dans n’importe quelle direction, lorsqu’ il entendit des pas dernière lui. Il se tourna d’un bond, persuadé que l’autre se tenait là et l’empoigna de toutes ses forces. « Ha Ha ! Je te tiens ! Vociféra t-il dans un rictus de victoire qui lui donnait un air effrayant.». « Vos élèves vous attendent, vous êtes très en retard. » lui répondit une petite voix apeurée qui ajouta après un silence éberlué. « Vous n’avez pas l’air très bien.Vous devriez vous ressaisir.»
Bravo Laurent pour ce texte qui m’a passionnée.