Désormais, on ne va plus seulement dans ce lieu pour les monuments et les œuvres d’art qui densifient la ville. La foule on sait comment s’en dissocier et elle participe même au risque ( au bienfait) de l’égarement. Venise porte dans sa substance les craquements des songes, l’envolée des pensées, et la dérive du pas. Elle est un véritable guide des égarés. On marche sans savoir où aller, on arpente ses désordres et les murs reculent, on épluche le plan sans vouloir vraiment se retrouver, on cueille sur les pierres les griffures d’antan et des pâquerettes d’espoir. Du bout du pied, on repousse les conseils dans les canaux où flottent les cannettes de la veille et les promesses d’aube qui ne reviendront pas. On laisse son esprit flotter sur les eaux couleur d’olives ou de lapis-lazuli selon la lumière du jour, ou sur les pierres d’Istrie à leur blancheur crayeuse et aux traces du passé, ou sur une marchande de fleurs dont on fait le tour de l’étal sur un Campo et l’on ne sait plus après ni d’où l’on vient ni où l’on va, ou bien encore c’est une mouette qui se pose tout près et vers laquelle on se dirige comme pour voir un ami et dont on poursuit le vol du regard sans plus rien savoir du reste de la vie, ou bien on entre dans une église par une porte et ressort par une autre et le droit chemin, qui n’existe pas, est perdu, ou bien encore on se laisse happer par le pas d’un vénitien et on se met à le suivre comme ça pour le plaisir d’errance, ou encore c’est une musique qui court entre les ruelles, se répercute ici, là et on part à sa recherche. On sinue toujours plus loin, on serpente sans rebrousser chemin, on frôle des murs et des portes bien closes, on caresse les écaillures sur les façades dans lesquelles on se reconnaît un peu, on les prend même en photo comme un souvenir essentiel de la ville, on lit les noms des calli qui chantent – calle della testa, calle Barbaria delle Tole, calle del ’’Agnella, on ne compte plus les marches des ponts traversés, ni le nombre de pas sur des dalles inégales – une splendide nudité de silex – et l’on se met à écouter le bruit de ses propres pas dans une calle déserte, et l’on se sent presque heureux à se demander si se perdre n’est pas la meilleure chose que l’on puisse trouver.
promenade grâce à vous dans une vilel que je ne connais pas