La vieille s’étonne : ainsi donc vous ne vous souvenez de rien ? L’homme a ce mot dans la tête, le pays natal, il sait que cette grange, c’est le pays natal, mais du pays natal il ne sait rien, il a toujours vécu là-bas, presque toujours, il a toujours vécu là-bas mais il a toujours su qu’il venait d’ailleurs, on a toujours su le lui faire comprendre, qu’il n’était pas ce qu’ils appellent un natif, qu’il était un étranger, et il essaie, l’homme, de retrouver quelque chose de ce temps d’avant, de sa vie ici, parce qu’il a eu une vie ici, la vieille pense qu’il a vécu peut-être trois ou quatre ans ici, elle n’en est pas sûre, mais elle sait que c’est lui, et il voit la main de cet homme dessiner une fleur, c’est tout ce qu’il voit, une main d’homme, une main avec des crevasses, une main rugueuse mais qui dessine une fleur très fine, très rouge, une belle fleur sur le mur, celle qu’il ne cesse d’observer depuis le début, et le perroquet, est-ce qu’il se souvient de la main qui a dessiné le perroquet ? L’homme se concentre : rien. Le perroquet vient de nulle part. La fleur, c’est une main d’homme, mais l’homme au bout de la main n’a pas de tête, n’a pas de corps, c’est comme une main dans le vide qui dessine une fleur. Un mouton bêle : ça aussi, il s’en souvient, l’homme, il y avait quatre moutons, mais il l’a lu dans le cahier, qu’il y avait quatre moutons, ce n’est pas un vrai souvenir, ou peut-être que si, ces moutons, quand il les a lus, ça ne l’a pas surpris, il y a toujours eu des moutons ici et quand il ne restera plus rien, eux seuls resteront, les moutons, avec cette main dans le vide qui dessine une fleur.
Beaucoup aimé. Tout le temps (de l’oubli )glissé là
Merci, Nathalie. J’ai aimé écrire ce presque rien qui reste malgré l’oubli.
« une main dans le vide qui dessine une fleur ». Une main et pas beaucoup plus de moutons, les souvenirs tiennent dans la paume de l’oubli et s’écoulent entre les doigts sous le regard d’un perroquet. J’aime beaucoup ce texte à mon tour. Je vois un tableau peint.
Merci Marie-Thérèse, un tableau peint certes, mais qui bouge, le perroquet prêt à s’envoler.