Avoir des monticules de souvenirs et tout autant et davantage encore enfouis dans les antres de la mémoire. Comment se souvenir de la première maison, rue Benoît Malon où se sont passés mes premiers mois dans un deux-pièces m’a t’on raconté, où nous étions quatre avec un frère de quatre ans qui devait courir partout, peut-être me tirer les cheveux ou me faire des grimaces, et une mère épuisée après ma naissance ; comment parler de la clinique rue Trousseau où j’ai poussé le premier cri, dans laquelle je suis retournée puisqu’elle a été transformée en pôle gériatrique, et dont j’ai alors arpenté, pendant plusieurs mois, les couloirs pour entendre résonner les cris de tous les bébés venus au monde dans ce lieu et rien aucun déclic ne s’est produit, aucune vision, et des cris il y en avait pourtant c’était ceux de la fin de vie et de la réalité crue qu’il fallait affronter. Peu de souvenir réel, mais ceux racontés à maintes reprises lorsque portant une petite bûche sur l’épaule, une épine s’est infiltrée dans mon oreille et que mon père a dû me porter jusqu’au pavillon d’urgence, situé juste en haut de la rue Pointe-Cadet où je vivais et ma grand-tante infirmière a pris soin de ma petite personne en train de pleurer. Pas de souvenir non plus des quartiers de la ville que je n’ai pas traversés à pied, sentant sous mes semelles la rugosité du trottoir avec ses creux et ses bosses formées par le goudron. Pas de souvenir de la rue de l’Isérable, de celle des Deux amis, de la rue Virginia Woolf ou celle d’Albert Camus, pas de souvenir de la rue du puits Camille et rien non plus sur la place du Bicentenaire ou la colline de la Cotonne. Rien à dire du Square du Temps Passé où pourtant doivent sommeiller les réminiscences de toute une ville. Rien des bras chargés de fatigue de ceux qui nous ont précédés, des chemins pavés de ronces sur le chemin des Champs juste en dessous de chez moi, et pourquoi le précieux semblerait se situer dans la disparition ? Où le fil pour suturer le temps ?
Très beau texte Solange, où l’accumulation de ces moments qu’on n’a pas vécus, dont on ne se souvient pas vraiment, ou par bribes et récits d’autres personnes, finissent tout de même par reconstituer le souvenir d’un temps ancien. Et je découvre à cette occasion, avec émerveillement, qu’il existe un Square du Temps Passé, dans une ville qui semble être Saint-Étienne.
Merci beaucoup Philippe! et dire que je n’ai jamais foulé la terre de ce square du Temps Passé…il va falloir que je remédie à cela!
les souvenirs absents ou réinventés ou révés