On peut se demander d’où vient que la ville – humaine par fondement, extraordinaire par nature, n’ait nulle entrée au domaine des contes, ne connaisse de légendes premières, alors que la forêt s’y complaît, y puise sa source, ses floritudes imaginales. Est-ce dû à son statut d’étrangère, que la forêt soit en nous seul guide de légende. La ville ne peut-elle miser sur les antres pour être au fond honorée. A moins d’être troglodyte par nature, comment fait-elle. Puisque rien ne semble ni vivant ni veille, rien n’y semble sentinelle, à part les gens par terre et dehors ? piégés dans des enclaves abandonnées ? les hommes ne cherchent-ils qu’à copier les arbres et les enceintes ventrales des cavernes. Les essaims de guêpes et tous les nids qui creusent les murailles. Le ciment qui laisse de la craie entre les doigts. La ville est-elle par essence non primitive. Civilisation retirée des valeurs de vertus ? d’où qu’elle souffle, avec son odeur de vices et d’ennuis. Je m’y promène et ne songe qu’à manger. Les filles passent en troupeaux, le corps astragale gouverné par des glaces énormes qu’elles tendent par-dessus les têtes, des glaces fraîches et jaunes brandies en formes de drapeaux, flottements iconiques comme la proue d’un navire. J’ai froid de les voir, me sens plus seul encore. Les voir, les suivre des yeux, munies de paquets de luxe, de bouches animées de joies cosmétiques et sucrées. Je me penche et découvre les jupes rebelles, les flots d’ambre et les saveurs. Je voudrais manger, je voudrais aimer le monde. Mais les chairs tremblent, inaccessibles, et rien qu’un bol de salades à la tomate, on est si rares à se l’offrir. A moins de partir dans un supermarché de banlieue, y acheter des victuailles sous plastique, trouver un coin à l’ombre, un rocher où s’asseoir, un peu d’ombre surtout. J’ai gardé peu de souvenirs d’avoir mangé en pleine rue. Peut-être un sandwich, un pain ouvert avec les pouces, on y pousse une tranche de jambon, un filet d’huile, des lamelles de tomates qui font de la fraîcheur dans la baguette. Je me souviens pas d’avoir mangé si bon. On ouvre des boîtes de conserve, on les met en plein cagnard à quarante degrés, ça chauffe tout seul, on plante une fourchette, promesse de bonheur, manger des légumes de soleil sur un banc public, les légumes réchauffés sur le banc, derrière le musée du moyen-âge, le seul musée à nous accueillir, comme ceux du 13ème siècle, du 15ème, et du 16ème aussi, ceux de la Renaissance, à nous accepter dans une arrière-salle, où l’on pose les sacs à dos, on sort les sacs plastique et on ouvre le pain comme on se tient par la barbichette, on se déplace en crabes d’exposition en exposition, faut pas rester groupés, fixes, faut se déplacer s’éparpiller, comme des apôtres à sandwich s’évaporent sur la terre. Et l’ombre des musées : notre océan, fait si bon, si frais de s’y baigner. Je n’ai pas gardé le souvenir d’avoir bécoté sur un banc public, ni tenir des hanches adolescentes, ni rêvassé ni pleuré, peut-être écrit si ça se trouve, oui c’est possible, cette démarche d’écriture, comme chat et chien dans la rue. Avec la panoplie des saletés sur les trottoirs qu’on racle avec les savates. De la ville de l’été, je n’ai gardé avec la famille que des souvenirs d’Allemagne, des souvenirs de folie. On était les seuls touristes à Karlsruhe, à Düsseldorf, à Köln, Wuppertal … les seuls touristes à s’égarer dans les avenues géantes et vides, droites et longilignes sous un cagnard affreux. Je me souviens vaguement de quarante-sept degrés, les enfants tourbillonnaient dans les fontaines de la ville, frais dansants, pirouettes d’eaux au beau milieu des places, les jets d’eau s’éteignant s’allumant brutalement dans un jet discontinu qui faisait rire, et bruire la ville autour des places. Ensuite on hantait les supermarchés et les bouchères nous attendaient, très gentilles, alors que nous si étions si bronzés, on avait peur du racisme. Et pas du tout, c’était presque impossible à croire, des chambres familiales avec balcon pour quarante euros la nuit, on pique-niquait sur le balcon avec les serviettes par terre, ou alors on allait dans les parcs, l’herbe desséchée était si jaune et piquante qu’on avait peine à s’asseoir, ça raclait les cuisses et les mollets, fallait multiplier les serviettes à même le sol, dans les parcs du centre de l’Allemagne, on était gentil avec nous, on mangeait avec les habitants, devant le château tard le soir, tard dans la chaleur qui restait la même dans la nuit comme au Maghreb. Et puis, à force d’errer dans la ville, on finissait par se transformer en nixes nicettes, des fées germaniques au torse dénudé, là tranquilles sans rien attendre de la ville, au bord des piscines de banlieue.
La ville comme excavation illégitime, qui comble ses trous et les réitère ne sachant pas où s’arrête sa folie des grandeurs. La forêt primaire plus sage se renouvelle selon son bon tempérament complice de l’air et de l’eau, sous la houlette du soleil. Un conte en ville aurait trop de personnages pour être écrit sans vexer personne. Peut-être que l’histoire des aventures du baron de Munchausen est une tentative un peu ratée.Elle fait rire jaune… Mais vos pique-niques sur balcon me paraissent plausibles, il y a toujours moyen d’improviser des camps de base pour les souvenirs heureux. Alors, on y va ! https://www.youtube.com/watch?v=KZZY0c2WUBE
Merci infiniment Marie-Thérèse pour toutes ces réflexions si denses… et oui, ce film, tellement vu et aimé, je passais mes jours dans les salles obscures (Les 400 Coups à Angers)… comment oublier l’énergie qui te propulse