Passe l’image furtive d’un pavillon, au soleil, tout neuf, tout blanc, dans un quartier tout neuf, tout blanc, en périphérie de la ville, accroché à la colline, et cette impression fantôme d’un renouveau qui colle aussi à la peau de l’adolescence, aucune odeur particulière mais des bruits, celui du train de marchandises lourd et lent qui traverse la ville deux fois par jour, sifflet, grincements, martèlement régulier des rails, celui du peillarot qui crie sa présence pour récupérer les vieux vêtements, celui de l’épicier ambulant, celui du rémouleur, celui des enfants qui reviennent de l’école. Passent l’image furtive des galeries qui couraient le long du vieux bâtiment à la cour carrée du lycée dans lequel nous étions enfermées toute la journée des élèves en tablier bleu pastel, l’image furtive et pleine de poussière des travaux qui ont encombré la ville quand ils ont enlevé les pavés pour les remplacer par du bitume, l’image brumeuse dans ma mémoire de la façade du théâtre, trois grandes portes arrondies chacune surmontée de trois fenêtres hautes et étroites et une horloge sur le fronton sur laquelle nous repérions l’heure pour ne pas être en retard, l’image de la rue Victor Hugo extirpée de mes souvenirs à l’aide de l’hippocampe, rue sans arbres, immeubles bas, et une école maternelle, cachée derrière un mur rose, deux classes, une cour de récréation avec des tilleuls, l’image de l’hôpital, véritable cité interdite pour l’enfant que j’étais, avec ses nombreux pavillons disséminés dans une pinède… passe l’image, passent les images.