vingt juin
J’ai peu de souvenirs du Kram – j’ai peu de souvenirs de ces moments-là je les invente en allant – j’essaye d’écrire à propos de cette époque-là pour en garder le souvenir vivant, pour qu’ils (elle et lui) reviennent un moment – un peu plus de réalité que celle de ces deux parallélépipèdes noirs, on peut y voir une sorte de ressemblance avec le monolithe de Deux mille un – ces deux-là ne sont plus mais restent étendus, non loin l’un de l’autre – l’une de l’autre – il me reste le moment où nous nous sommes séparés, lui et moi, c’était un jour de juillet et il faisait doux non loin du pont bleu, sur cette allée je ne savais qu’elle portait le nom d’un musicien mais ça va bien, ça lui va bien – ça leur va bien – j’ai peu de souvenirs sur la (les) musique(s) qu’il aurait pu aimer, un jour il passait la tête dans ma chambre (c’était la verte, en haut à gauche là-bas) et me demandait ce que c’était qui passait – il passait beaucoup de musique dans ma chambre à cette époque-là, j’écoutais à la radio une émission titrée Campus – j’écoutais aussi pendant les insomnies d’alors la lecture par je ne sais qui (pour moi ça a toujours été, et ça restera toujours Jean Negroni – va savoir pourquoi ce type-là) des Mémoires d’outre-tombe – il me demandait « qu’est-ce que c’est cette chanson? elle est bien… » c’était Robert Charlebois, et son Ordinaire magnifique – c’était sur l’autre continent – des fois j’ai pus l’goût de rien faire – longtemps j’ai travaillé dans la même usine que lui, ou plutôt dans la même boîte, une compagnie française, une usine moderne qui avait des entrepôts un peu partout dans le département – autour de moi il y a la guerre, la peur la faim pis la misère – j’ai toujours aimé les chansons, il me semble qu’il en chantait parfois – je me souviens de sa mère qui en chantait, et celle-ci en allemand Bei mir Bist du schön ou schein en vrai c’est du yiddish semble-t-il – quelque chose de franchement curieux (franchement ? ça n’a rien de curieux) – qu’est-ce qui est curieux, dis moi ? : mais l’allemand, c’est curieux qu’on veuille apprendre ce dialecte (qu’on chante des chansons de cette langue) cette langue aboyée et gutturale, celle des kapos et des ss – c’est curieux – N’oubliez jamais chantera Joe Coker – j’ai peu de souvenir du mari de cette femme, petite et ronde (sa mère, sa mère à lui), qui allait au cinéma Gaumont Alésia et qui nous en parlait quand elle venait le dimanche à A. – elle aussi avait fait le voyage pour rejoindre ce pays, cette terre de l’autre côté de la mer – elle y vivait déjà quand nous y arrivâmes, il me semble qu’on avait dormi une nuit ou deux chez elle, j’ai peu de souvenir mais de son appartement du boulevard Jourdan, mais un certain nombre subsistent – (The Andrews sisters) – je n’ai pas de souvenir de ça mais cependant, elles se promenaient toutes les trois sur l’avenue, dans leurs manteaux d’astrakan, elles sont parties, toutes les trois, d’ailleurs tous sont partis – il ne resta que E. – puis la guerre des six jours, puis le reste de l’histoire – il y a quelques jours, à quatre reprises, l’après midi, on a parlé de ces gens-là – on y disait qu’il n’en restait qu’un seul à Nabeul, deux cents peut-être à Tunis – presque plus personne de cette obédience mais l’un des plus anciens lieux de son culte subsiste à Kelibia et des tombes un peu partout dans ce pays – j’ai peu de souvenirs mais je sais que sa mère à elle, un jour, allait dans cette île du sud (elle est dite aux trois cents mosquées) pour prier – elle devait implorer son dieu pour quelque question demande appui j’en sais rien – Drinking rhum and coca-cola chantaient les sœurs Andrews – le Kram est le village directement contigu, on n’en peut faire la différence d’avec celui qui précède comme de celui qui succède, c’est là, au bord de l’eau, des épiceries, des restaurants (plus aujourd’hui certainement) des gens par milliers sous le soleil souvent, un astre certain chaud généreux profus on est là en maillot de bain, on avance doucement sur une route qui mène à la mer, semée de petits cailloux qui nous piquent la plante « allez les enfants on va à la plage » – avant midi, sûrement ce vingt juin là – sûrement, comme aujourd’hui, c’était un lundi
MerciPiero. J’ai bien aimé te suivre dans les méandres de ta mémoire.
mais merci à toi, chère Véro…
Piero, tes peu de souvenirs nous emmènent bien loin. Et pour notre grand plaisir !
Merci pour toutes ces évocations.
Merci pour les chansons.
merci à toi, Fil
Merci pour ton texte mais je t’avoue un faible pour la photo. Le bleu…
ah oui, le bleu… oui… merci à toi Clarence
bravo tout du long – tous les petits coups de coeur en passant – la phrase fluide et puis garder le « on va à la plage’ – à La Pérouse ou Tamentfous, on ouvrait la porte verte à côté de la fontaine et on descendait un bout de chemin ou on descendait à l’intérieur dans le hangar à bateau et c’était là
vous, vous devriez écrire une fois ou deux dans ce marathon (un jour sur deux, ou trois comme ça) – par exemple dans cette voie, « ouvrir la porte verte » voyez – merci à vous de passer (et pour tous les autres commentaires aussi)
écrire pour qu’ils reviennent un moment . Quand il passe la tête (« des fois j’ai pus l’goût de rien faire ») et demande à propos de la musique, les trois en manteau d’Astrakan, … les petits cailloux brûlants. Vivants
(« jf »rais dla musique avec le gros Pierre ») des fois -merci à toi