Il détaille néanmoins la fille, brune, assez petite, bien foutue, tout à fait son genre. Il est seul d’un côté du bar, elle est seule de l’autre côté. Entre deux, il y a un barbu qui essuie des verres. Derrière, des vieux, silencieux, sirotent.
Sonia Modini est assise sur une chaise haute et elle boit, lentement. Sonia Modini vient de fêter – mais de fête il n’y en a pas eu – ses vingt-huit ans. Elle vit seule avec son chat, elle sourit à son patron, lui dit non monsieur je ne suis pas de ce genre, elle répond au courrier des lecteurs, des types qui s’offusquent, des vieilles dames qui s’étonnent et passent leur journée à ressasser ce mot de trop dans le journal, quand même cette fois ils sont allés trop loin il faut que je leur écrive. Sonia Modini tente de les calmer, elle montre les lettres au patron, ne sourit pas, il va s’imaginer des choses et rentre chez elle pour s’occuper du chat. Jamais elle ne s’arrête dans les bars, Sonia Modini, presque jamais.
Bill McLeavon essuie les verres. Boulot d’appoint. Ses études ? Jamais terminées. Il essuie des verres en attendant. Bill McLeavon pense qu’essuyer des verres ça donne à penser mais dans la vie de Bill McLeavon c’est penser qui lui donne à essuyer des verres. Philosophe ? Ébauche, esquisse, bout de philosophe, ce mémoire sur la réalisabilité multiple des propriétés mentales, il n’existera jamais, et en essuyant les verres, Bill McLeavon semble prouver la non-réalisabilité de ses propres propriétés mentales et il pense à Hillary Putnam, son maître, qui n’a jamais essuyé le moindre verre.
Bobby Harraway boit. Il n’a pas toujours bu. C’est depuis qu’il n’a plus de travail qu’il boit. Il touche une rente, presque rien, tout part dans la boisson. Il n’a pas toujours bu, il a été représentant, Bobby Harraway. Il allait de ville en ville, de comté en comté, faire essayer des tapis à des ménagères, c’est comme ça qu’il a rencontré Betty, elle ne lui a rien acheté mais elle est restée, et aujourd’hui Betty fait comme Bobby, elle boit, mais ailleurs.
J aime beaucoup ces trois personnages croisés autour du bar…
Merci, ces trois personnages sont tirés d’une phrase de mon chantier d’écriture, phrase dans laquelle ils apparaissent pour disparaître aussitôt. J’ai aimé leur donner un semblant de vie.
Trois éclats de vie. Réalistes. Rêveurs.
Merci, Vincent !
à la fois réaliste et rêveur, j’aime bien cette idée, merci Fil !