Camille Lézithan
Grand, tendance maigre, des lunettes rondes en écailles foncées sur un nez aquilin, une certaine élégance dans sa façon de porter des vêtements légers. Ce n’était pas la première fois qu’il repartait sans avoir voté. C’était systématique. Il prenait l’enveloppe, les bulletins, il allait dans l’isoloir et là, impossible de choisir. Alors il repartait et il revenait une heure après son bulletin dans l’enveloppe. Il ne savait pas choisir. Pour rien. Il faisait tout deux fois, invariablement. Il a toujours pensé que c’était à cause de son prénom. Fille ou garçon ? Il ne savait pas. Il a été fille, il a été garçon, ça n’avait pas d’importance. Dans sa tête il chantait tout est affaire de décor, changer de lit, changer de corps…
Madame Clotilde Darcane
Elle est arrivée dans un fauteuil roulant électrique provoquant de la compassion dans le regard de ceux qui la laissèrent passer. Elle avait jeté une étole fleurie sur les jambes et portait un petit débardeur blanc qui mettait en valeur son teint halé. Elle souriait, très sûre d’elle, de sa jeunesse, de sa beauté. Née d’un père chanteur, et d’une mère comédienne, elle a commencé très tôt à faire du théâtre. Son enfance et son adolescence se sont déroulées à Belbeuf, dans la banlieue de Rouen. Elle a peaufiné la pratique du théâtre en faisant ses études au conservatoire de Rouen puis à celui de Strasbourg. Depuis quelques temps, une semaine par mois, elle vit le quotidien d’un personnage fictif, c’est a-t-elle écrit, un exercice un entrainement au théâtre. Aujourd’hui elle joue une handicapée et conduit un fauteuil coupe file.
Louise ou Lise, je n’ai pas bien entendu comment il la nommait. Des amants certainement. Elle est aux aguets, il la dévore des yeux. Il savait sans doute qu’elle votait dans le même bureau. Ils ont dû se connaître au travail. Elle… dentiste et lui… secrétaire médical. Sûr que c’est elle la dominatrice. Il l’a guettée et l’a suivie depuis le carrefour. Ils sont entrés ensemble dans l’école et il a feint la surprise. Elle n’a pas eu l’air d’apprécier. Elle lui a jeté un regard glacé. Il ne manquait plus que ça… un pot de colle ! Elle se hâte de s’abriter dans l’isoloir, de voter et de repartir avant qu’il n’ait eu le temps de la rejoindre. Il achève son devoir de citoyen, range sa carte d’électeur tranquillement et aperçoit une jeune femme qui se dirige vers lui. Il arbore un large sourire de contentement et va l’embrasser.