Marché de Mons 19 juin 2022
Le marché du dimanche matin à Mons en Belgique. Des habitués dont j’ignore tout et des nouvelles têtes passantes. Je suis le mouvement lent des promeneurs, entre les deux allées d’échoppes. Je repère des physiques originaux, des couleurs vives, des démarches insolites, des voix particulières. Puis le banal prend plus d’attrait. Les discrets, les rapides nez en l’air, les lents tête baissée, les efficaces.
La marchande replie ses draps, les déplie, saisit une serviette en coton, joint les coins. Cheveux courts gris, lunettes fumées, gênée par sa poitrine opulente, elle s’ennuie au milieu de la foule qui ne s’arrête pas. Personne ne lui a acheté un seul tissu. Faut dire qu’elle a profité de l’absence du vendeur de tapenades maison pour lui piquer sa place. Les gens sont déçus. Tout le monde lui demande où est Henri. C’est juré, elle ne reviendra jamais.
Jamel, chemise hawaïenne, trolley qui glisse sur l’asphalte, teint des îles, le sourire en bandoulière, toujours pressé, toujours dernier. S’attarde chez le boulanger pour les pains aux raisins. S’attarde chez le charcutier pour boire une bière entre les camionnettes père et fils. S’attarde pour ne pas rentrer chez lui où l’attend, au choix : une femme indifférente, une mère malade, un fils écran ou une télé d’ennui.
Elle a le visage creusé des femmes qui ont vécu et qui traîne leur voix rauque à la terrasse du café, le temps de la clope. Elle connaît tout le monde, flirte avec la vulgarité mais personne ne se permettrait de lui manquer de respect. On sait d’elle les malheurs qui ont traversé sa vie et son enthousiasme à feindre la surprise de retrouver de vieilles connaissances pour cacher la mélancolie permanente qui lui gratte le cœur.
Il parle trop fort, trop vite, trop. Il gronde son chien qui veut se faire la malle ou grimper sur les femelles dociles et les rombières à yorkshires sont choquées. Il trimballe un grand sac à dos, des joues rouges et une diction savonneuse. Il tente de cacher qu’il a bu, déjà, qu’il lutte contre la pesanteur, qu’il s’accroche à son chien pour ponctuer la marche des étapes nécessaires : les yaourts, les saucisses, le pain, le miel. Il compte ses pièces pour payer le chorizo. Impasse sur le miel. Il cherche les regards pour expliquer qu’il n’a pas dormi à cause de l’orage. Il oublie son portable sur le comptoir, un téléphone sans carte Sim, juste pour la frime, juste pour faire croire qu’on l’appelle, qu’il est dans la vie puisqu’il a un GSM.
Elle est une vieille dame au bras d’un jeune homme en jogging et sandales. Il lui tient ses sacs. Elle est à demi-voûtée, jupe droite rose et chemisier blanc, elle articule à l’excès et remercie sans fin pour les bons services du poissonnier. Elle voudrait des tomates confites mais l’Italien n’est pas venu aujourd’hui. « Il y a l’Arabe sinon, maman ». Une autre fois. Une autre fois peut-être, mais là elle n’a pas la force de retraverser toute la place pour aller chez le Marocain. De toute façon, depuis que la petite Salma ne vient plus, elle a perdu goût aux olives de Marrakech.