Le hall de l’aéroport CDG s’étend en arrière avec les mêmes algues épaisses du couloir de la gare de Lyon, les quais plus enfoncés derrière le hall principal de Gare de Lyon, à gauche du grand hall. Tout le monde attend parmi les sièges, debout attachés à leurs valisettes, ils tirent en aigrette une poignée suspendue, debout avec les quatre pattes plantées dans le linoléum gris beige. Assis par terre en petits groupes, le dos des jeunes se courbe en quinconce, les doigts arqués sur une cigarette invisible, on ne fume plus dans les hall d’aéroport, c’est fini, d’aspirer l’air avant l’air, de s’époumoner avant les heures de vol, de prendre une dernière fois racine avec soi. Tu ne pars jamais en voyage, on te plume avant de pouvoir mettre l’argent de côté, tu ne vis pas chez ton mari, chez ta mère, tes consoeurs, tu payes, et tu t’allonges sur le bitume, tu ne pars nulle part, excepté parfois, dans des livres summum, des livres bifurquant, impossibles, rameurs dévorants, feux de forêts vierges, comme des musiques qui te prennent et t’extraient de tout. Rien n’est égal à ta solitude, ton œil en trave de poussières, ta rage de faf’la rage, tes découvertes, le slam du chanteur Massyl, la beauté d’une vie, le handicap proclamé, la beauté des textes empoignés par le fond de la trame, parce que la trame c’est une quête d’air, une quête d’envol. Tu ne prendras pas l’avion parce que tu t’es égaré dans un sous-sol d’aéroport, c’est pas suffisant jamais suffisant, faut t’endormir avec des écouteurs pour oublier qu’c’est pas justifié, ton départ définitif, faut avoir les épaules et le nid double pour pouvoir voyager comme ça, comme Candide dans Surinam, tu es entré en pleurant dans le plus grand aéroport d’Europe. Mais ça tu souris, tu le fais tous les jours – ce sourire que tu as – tu rentres tous les jours dans la plus grande gare d’Europe, la puissante gare du NORD – fierté, fierté ma soeur. C’est pas haram de marcher tous les jours à se perdre, s’enivrer de pensées et de marche. Le casque stéréo sur les oreilles – saule pleureur de réflexion. Alors sachant que tu ne voleras point mon frère, par-delà les mers, parce que les plus pauvres ne prennent pas la tangente sans se voir fracasser sur le sol, tu t’adosses au long mur couvert de petit carrelage orange, et tu regardes les gens. Les gens qui volent et qui partent, ceux qui peuvent faire, sont encouragés à faire, atteignent la gloire de faire. Et là, à regarder les gens, tu perçois ce qui touche, même si c’est loin ma sœur, même si c’est loin, cette femme qui parle de travers dans un fauteuil roulant. Une petite fille ouvre l’emballage d’un paquet de gâteaux, avec beaucoup de soin, comme si elle apprenait à la dame comment ouvrir un paquet, comment déployer les ailes du papier, y tordre les bouts de la boîte, détacher, dépaqueter, ouvrir et creuser les doigts, récupérer la matière friable du gâteau, comme une cuillère le bout des doigts la placer dans la bouche de la dame, déployer des trésors de soin et de douceur, des petits doigts appreneurs, petits yeux jusqu’au pli de la bouche qui cueille les graines de gâteau. Le soin de ce don-là, manger quelque chose de bon et de consistant. Ingérer un surplus de vitaille, du bout des doigts l’enfant te nourrit. Tu es restée là longtemps ma sœur, à regarder l’émiettement du gâteau, le pépiement des graines de céréales sur le rebord des lèvres. Tu regardais cela, et seulement cela.
Regarder l’enfant nourrir vieillesse pour communion de vivants. Beau programme.
Merci beaucoup Jen d’avoir pris le temps de me lire (ô joie !!), et vais de ce pas découvrir vos textes… belle soirée 🙂